Éducation: les travailleurs prêts à défier le gouvernement Ford et à faire la grève

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

DANIEL LEBLANC

Le Droit

Les travailleurs de l’éducation de l’Ontario ont l’intention de faire la grève vendredi, malgré un projet de loi déposé lundi par le gouvernement Ford visant à les en empêcher.

Le gouvernement ontarien a déposé le projet de loi 28 pour forcer les travailleurs de l’éducation à annuler le débrayage qui devait avoir lieu vendredi et entend invoquer la disposition de dérogation de la Charte canadienne des droits et libertés «pour se protéger contre de potentiels recours légaux». 

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) compte défier cette loi spéciale, qui vise à imposer un contrat de travail aux employés de soutien pour les quatre prochaines années, en faisant la grève ce vendredi, coûte que coûte.

Cette loi spéciale est une «tactique d’intimidation», selon le syndicat, qui représente 55 000 concierges, employés de bureaux, bibliothécaires et éducateurs de la petite enfance.

Les syndiqués qui prendront part à cette confrontation sont passibles d’amendes allant jusqu’à 4000$ par jour, et le syndicat fait face à une amende allant jusqu’à 500 000$ par jour.

Le syndicat prévoit offrir un soutien financier aux travailleurs qui feraient face à des conséquences pour avoir participé à la grève.

« Les jeunes n’ont jamais fait face, auparavant, à tant de difficultés, alors j’agis en pensant à eux. »

Stephen Lecce

Cela pourrait donc coûter plus de 220 millions par jour au syndicat s’il décide d’aller de l’avant avec son plan de débrayage à l’échelle provinciale.

Le gouvernement ontarien dit avoir déposé ce projet de loi pour assurer que «les élèves restent en classe et pour rattraper les retards d’apprentissage».

C’est «avec regret» que le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce,  dit avoir déposé son projet de loi. 

«Les jeunes n’ont jamais fait face, auparavant, à tant de difficultés, alors j’agis en pensant à eux», a-t-il lancé aux journalistes, lundi, après l’adoption de la première lecture de son projet de loi, à Queen’s Park.

Il dit que son gouvernement va poursuivre les négociations avec les autres syndicats du secteur de l’éducation, mais qu’il n’a pas l’intention de retourner à la table de négociations avec le SCFP cette semaine.

Solidaire avec le SCFP, l'Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), qui compte 13 000 membres en province, exhorte le premier ministre Doug Ford «à abandonner immédiatement ce projet de loi punitif».

«Bien que ce projet de loi déplorable semble toucher uniquement la négociation du SCFP, nous croyons que son impact pourrait se faire ressentir par les autres syndicats de l’enseignement de la province, dont l’AEFO», craint la présidente, Anne Vinet-Roy.

 Le ministre Lecce estime que la loi qu’il propose aura l’effet escompté et que «tous les travailleurs en éducation seront au travail, vendredi».

Lors d’une conférence de presse tenue à Queen’s Park à la suite du dépôt du projet de loi, le SCFP a lancé que personne ne sera au travail vendredi et que les membres organiseront une manifestation à l’échelle provinciale.

Les responsables syndicaux affirment qu’il reste à voir si le débrayage des membres durera plus d’une journée. 

Clause dérogatoire

C’est la troisième fois que le gouvernement Ford invoque la clause dérogatoire depuis son arrivée au pouvoir. Au Canada, c’est aussi la première fois qu’un gouvernement invoque cette clause pour outrepasser les droits du travail, protégés par la Constitution canadienne.

«La clause dérogatoire n’a jamais été destinée à être utilisée dans les négociations contractuelles, ou comme un outil occasionnel pour brimer les droits humains fondamentaux protégés par notre Charte», a martelé la directrice générale de l’Association canadienne des libertés civiles, Noa Mendelsohn Aviv, dans un communiqué.

«Cette utilisation abusive et le mépris flagrant des droits individuels sont répréhensibles et dangereux pour notre démocratie constitutionnelle.»

« Ça nous inquiète de voir que lorsqu’il semble y avoir une impasse, le gouvernement sort son gros marteau. Ce n’est pas fort. »

Anne Vinet-Roy

L’invocation de cette clause inquiète aussi Anne Vinet-Roy.

«Ça nous inquiète de voir que lorsqu’il semble y avoir une impasse, le gouvernement sort son gros marteau. Ce n’est pas fort», soutient la présidente de l’AEFO.

Elle remarque que jusqu’ici, le SCFP a agi dans les règles de l’art et en toute légalité dans le cadre de ses négociations avec le gouvernement ontarien.

Comme les libéraux

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement ontarien tente d’imposer un contrat aux travailleurs de l’éducation afin d’éviter un débrayage.

En 2012, le gouvernement libéral de Dalton McGuinty avait déposé le projet de loi 115, qui visait à geler les salaires et à limiter le droit de grève des membres syndiqués.

À l’époque, cinq syndicats du secteur de l’éducation avaient saisi les tribunaux de l’affaire.

Le projet de loi 115 du gouvernement McGuinty «entravait considérablement une négociation collective», avait statué un juge de la Cour supérieure de l’Ontario, en 2016.

Plusieurs mois

Cette escalade récente survient après des mois de négociations entre le gouvernement ontarien et le SCFP. 

Dimanche, le ministère de l’Éducation a proposé une augmentation de 2,5% par année pour les syndiqués qui reçoivent moins de 43 000$ annuellement et de 1,5% pour les autres. 

Plus tôt cette journée-là, le SCFP avait donné le préavis de débrayage requis de cinq jours.

«Nous faisons tout notre possible pour garder les enfants en classe, c’est pourquoi nous avons demandé aujourd'hui au SCFP de nous rencontrer pour lui présenter une offre encore plus généreuse», a indiqué le ministre Stephen Lecce dans un communiqué envoyé dimanche.

La présidente du Conseil des syndicats, Laura Walton, a fait savoir dans une conférence de presse tenue en soirée dimanche que les travailleurs de l’éducation n’étaient toujours pas satisfaits de cette dernière proposition.

Après avoir été mis au courant de l’intention du gouvernement Ford de déposer un projet de loi spéciale visant à empêcher les membres de débrayer, le syndicat a averti la province que l’adoption d’une telle mesure pourrait déclencher une contestation judiciaire. 

«Ils avaient déjà fait rédiger la loi, ce qui prouve qu’ils n’avaient aucune intention de négocier équitablement avec les travailleurs de l’éducation», avait lancé Laura Walton. 

Citant l’inflation et la hausse du coût de la vie pour justifier ses demandes, le SCFP exige une augmentation annuelle de 11,7% pour tous ses membres, eux qui sont payés, en moyenne, moins de 40 000$ par année.

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  • Date de création 1 novembre, 2022
  • Dernière mise à jour 1 novembre, 2022
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