Éducation : Des mesures sans vrais changements

Le gouvernement de l’Ontario veut améliorer les résultats en mathématiques, en lecture et en écriture des élèves. L’annonce d’investissement semble à la fois offrir peu de nouveaux éléments, tenter de corriger ses propres erreurs et insulter les enseignantes et enseignants.

_______________________

Julien Cayouette

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

«Je trouve que c’est une bonne chose qu’il n’y ait rien de nouveau là-dedans», lance la professeure et chercheure en éducation à l’Université Laurentienne, Louise Bourgeois. 

Pour elle, ces annonces ne sont qu’une continuité de ce que les conservateurs ont annoncé au cours des dernières années et même de ce que les libéraux faisaient déjà. «Les stratégies pour soutenir le rendement sont pareilles», précise-t-elle.

Ce qui est une bonne chose, dit-elle, parce que ça ne transforme pas, une fois de plus, tout le système. Le curriculum ne change pas, les stratégies ne changent pas. «Un changement, ça prend de 5 à 10 ans avant de voir vraiment quelle est l’incidence de la stratégie sur le rendement des élèves», dit Mme Bourgeois, qui a également travaillé au ministère de l’Éducation dans le passé.

Le gouvernement a justement changé le curriculum pour les mathématiques et il a été mis en place pendant la pandémie. La littératie financière et la programmation informatique sont les principaux ajouts. Cependant, le changement semble avoir eu un impact négatif sur les résultats en mathématiques à l’élémentaire.

Selon les données de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE) compilées par Mme Bourgeois, les résultats en mathématiques des élèves de 3e et 6e année des écoles de langue française ont chuté entre 2019 et 2022 (voir tableau). Du côté anglophone, les résultats ont très légèrement diminué. Ils se situent autour de 60 % pour les élèves de 3e années et de 50 % en 6e année. 

Résultats des élèves de langue française aux tests provinciaux

Mathématiques Lecture écriture

3e année 2019 74 % 85 % 75 %

3e année 2022 67 % 81 % 67 %

6e année 2019 82 % 93 % 78 %

6e année 2022 50 % 97 % 80 %

Un bon côté de l’annonce, indique Mme Bourgeois, c’est qu’elle confirme les fonds pour financer les postes existants d’accompagnateur en mathématiques dans les conseils scolaires.

Elle voit aussi la création d’une certaine pression sur les conseils scolaires et les enseignants pour atteindre les objectifs avec le maintien des postes de leadeurs en mathématiques et les équipes d’action. «Pour qu’une stratégie fonctionne, il faut avoir un bel équilibre entre le soutien et la pression.» Mais encore une fois, ce n’est pas nouveau.

180 millions $

Dans son communiqué daté du dimanche 16 avril, le gouvernement ontarien dit investir 180 millions $ «dans des soutiens ciblés en salle de classe et à la maison pour aider les élèves à acquérir les compétences et les connaissances en mathématiques et en lecture».

L’investissement est divisé entre les mathématiques ainsi que la lecture et l’écriture. On promet 1000 enseignants additionnels, «deux fois plus d’accompagnateurs en mathématiques», plus d’outils numériques pour élèves et parents, de la formation pour les enseignants et la mise en œuvre des nouveaux outils en matière d’évaluation de la lecture dès un jeune âge.

Mathématiques ou lecture?

À partir des données de l’OQRE, Mme Bourgeois se demande pourquoi le gouvernement a choisi d’investir aussi en lecture et en écriture, alors que les choses ont l’air de bien aller? «Sur quoi est-ce qu’on se base pour mettre en place ces initiatives-là quand ça va très bien?», se demande-t-elle.

Le Voyageur a obtenu du ministère de l’Éducation un peu plus de détails sur ce point. «À partir de 2023-2024, les élèves de la maternelle à la 2e année seront évalués avec des outils basés sur des preuves. Le nouveau financement permettra aux conseils scolaires de se procurer des outils approuvés par le ministère pour faire ces évaluations.» Ces outils seront sélectionnés selon les données du rapport sur Le droit de lire — rapport qui avait toutefois été fait sans consulter les francophones. 

La raison derrière la chute des résultats en mathématiques est pour l’instant incertaine. Les dates coïncident avec le nouveau curriculum en mathématique, mais aussi avec la pandémie. «Dans le nouveau curriculum, il y a aussi l’aspect socioaffectif par rapport aux mathématiques, qui est tout à fait nouveau», dit Mme Bourgeois.

Elle déplore également le manque de bons outils d’évaluation en mathématiques.

La présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), Anne Vinet-Roy, regrette que le gouvernement ait gardé le cap avec le changement de curriculum en mathématiques pendant la pandémie. «Les ressources arrivent toujours après, ou à la dernière minute.»

Un «pansement»

Dès le lendemain de l’annonce, la Elementary Teachers’ Federation of Ontario (ETFO) a qualifié les mesures de «pansements» et accuse le gouvernement d’encore imposer une solution sans consultation. La présidente Karen Brown affirme que les écoles ne sous-performent pas, elles sont plutôt sous-financées. 

Des opinions partagées par l’AEFO. «Quand le ministre fait des annonces, on l’apprend en même temps que tout le monde parce qu’il y a zéro consultation», confirme la présidente. 

Être attirant pour recruter

La promesse de nouveaux enseignants ne vient pas avec de nouveaux outils de recrutement et de rétention. Dans une réponse par courriel, le ministère de l’Éducation rappelle son investissement de 12,5 millions $ en 2021 pour le recrutement et la rétention d’enseignants francophones, le nouveau programme de formation à l’Université de l’Ontario français et les mesures pour faciliter l’embauche d’enseignants non qualifiés et l’accélération de l’accréditation des enseignants venant des autres provinces canadiennes.

Mme Vinet-Roy rappelle que «les conditions de travail, le manque de valorisation et de considération de la part du gouvernement» n’encouragent personne à devenir, ou demeurer, enseignants·es. «On dit qu’on veut aller chercher X nombres de profs hautement qualifiés en mathématiques et dans d’autres matières… on en a des tonnes. Tout notre personnel est hautement qualifié, mais on ne l’écoute pas et on ne l'appuie pas.»

«Un moment donné, on devient exaspéré de toujours avoir à subir tout ce que l’on subit, de la part du gouvernement. Malgré les nombreux efforts que les syndicats et les conseils scolaires font. Le ministre n’écoute personne et s’écoute lui-même», affirme Mme Vinet-Roy.

Le programme de formation des enseignants est l’un des aspects qui pourraient être améliorés plus rapidement, dit-elle. Une doléance déjà présentée au gouvernement. Cependant, dans une autre annonce le lendemain (voir texte ci-dessous), le gouvernement annonce qu’il collaborera avec l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et les facultés d’éducation pour revoir la formation et l’agrément des enseignants·es.

«Il y a toute la question de la privatisation qui nous inquiète beaucoup, ajoute Mme Vinet-Roy. Le gouvernement joue souvent avec les mots. En anglais, ils utilisent aussi beaucoup le mot “educators” et des “coachs”. Ça va venir d’où ça?»

-30-

  • Nombre de fichiers 1
  • Date de création 26 avril, 2023
  • Dernière mise à jour 25 avril, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article