École La Citadelle: «bastion des francophones à Cornwall»

L’école secondaire catholique de langue française La Citadelle célèbre ses 50 ans d’histoire cette année. La grève étudiante qui a mené à sa naissance marque un moment charnière dans l’histoire de la francophonie à Cornwall. Avec le recul, des anciens élèves et enseignants remarquent à quel point cet événement a permis de faire évoluer la relation entre anglophones et francophones.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

À la fin des années 1960, le Collège de Cornwall ferme ses portes, ce qui crée un vide dans l’enseignement secondaire francophone en ville. Près de 400 élèves sont transférés à l’école secondaire publique bilingue Saint-Laurent.

Dès 1969, les francophones de Cornwall demandent au conseil scolaire de Stormont-Dundas et Glengarry de transformer cette dernière en une école strictement de langue française.

Le conseil scolaire accepte, mais, un mois plus tard, offre plutôt un vieux couvent désaffecté pour loger l’école française. On décide alors de partager l’école Saint-Laurent entre les anglophones et les francophones. Les deux groupes linguistiques fréquentent l’établissement en alternance : en matinée un groupe assiste à ses classes et l’autre fait de même en après-midi.

Après deux années, le projet-pilote arrive à échéance. La tension monte. Les élèves francophones n’en peuvent plus.

Néanmoins, le système de rotation se poursuit pour une troisième année.

L’école est désormais surpeuplée. De plus, un comité d’élèves anglophones fait pression pour que leur éducation demeure le matin, contrairement à la rotation qui avait lieu précédemment.

«L’horaire du matin se déroulait de 7h30 à 12h30 et celui de l’après-midi terminait à 17h30, se rappelle Denise Savard, ancienne élève. L’horaire du matin était plus avantageux pour ceux qui avaient des emplois. Ce n’était pas juste de placer les francophones en après-midi constamment. Il y avait quand même des francophones très fidèles qui suivaient le programme anglophone, qui conservaient quelques cours en français.»

Mme Savard, élève de 12e année à l’époque, était la copine de Roger Dubé, aujourd’hui décédé. M. Dubé avait formé le «Groupe des Huit», comité d’élèves francophones revendiquant leur droit à une école secondaire.

Leurs efforts mènent à une grève étudiante, déclenchée le 14 mars 1973, pour exiger une école francophone.

Trois mois de piquetage

«Nous la voulons et nous l’aurons!», scandaient les élèves et certains parents.

«Il y avait un grand élan de solidarité. Je ne vais jamais oublier ça», se rappelle Denise Savard.

De nombreux parents appuyaient les revendications de leur enfant, comme Gérald Samson, enseignant d’une autre école bilingue de la ville à l’époque, nommée Général-Vanier.

«Au moment de la grève, je réagissais comme francophone, raconte l’homme de 86 ans. En tant que francophone et parent, pour nous, c’était un tournant historique qui permettait aux francophones de se rassembler et de se donner une identité palpable sur le plan social et culturel. C’était un cri d’alarme pour dire qu’on voulait notre place à l’intérieur d’un système où nous étions minoritaires.»

Au même moment où plusieurs parents comme M. Samson manifestaient aux côtés de leur progéniture, certains préféraient garder le système d’éducation tel quel.

«C’était un coup de barre qui a divisé les familles et la population de Cornwall à l’intérieur même de la francophonie, ajoute l’ancien enseignant. Des parents francophones préféraient garder le statu quo, alors que d’autres comme moi se disaient qu’il était temps d’avoir notre école à nous.»

Des élèves francophones de Timmins et de Sturgeon Falls se rendent jusqu’à Cornwall en autobus pour démontrer leur appui à la cause. Les élèves manifestent par des actions non violentes, comme s’asseoir devant le siège social du conseil scolaire ou l’hôtel de ville.

Échauffourées et succès

Malgré le pacifisme dans les manifestations, les esprits s’échauffent entre les deux clans.

«Au moment de la rotation durant la journée, les francophones et les anglophones se croisaient et il pouvait y avoir des batailles et des injures», rappelle Mme Savard.

Les disputes physiques ne se déroulent pas seulement entre jeunes. Alors que les élèves criaient à l’extérieur du bureau du conseil scolaire, un employé du conseil scolaire a vivement réagi.

«Il a accroché mon mari de cinq pieds et six pouces par le collet, l’a levé de son siège et a dit «taisez-vous sinon je vais vous casser la gueule», avance Mme Savard.

Ça n’a pas bien paru et ça a joué en notre faveur», ajoute la résidente de Cornwall.

Le 12 juin 1973, le conseil scolaire accepte enfin de transformer l’école Saint-Laurent en une école française, qui prendra le nom «La Citadelle». Les anglophones déménagèrent dans une nouvelle école fraîchement construite.

Une tache vient cependant ternir la joie des francophones.

Le conseil scolaire congédie deux enseignants francophones qu’ils accusent d’avoir incité les élèves à manifester.

Malgré tout, la naissance de l’école secondaire catholique La Citadelle marque un tournant dans l’histoire francophone de Cornwall, rappellent les anciens élèves et enseignants.

«C’est tellement important de ramener ça dans la mémoire des gens. On s’est battu pour nos droits et il faut continuer à se battre», dit Denis Martel, ancien élève et enseignant.

«Avant la grève, on était toujours traité comme inférieurs», se rappelle le directeur général actuel, Daniel Legros.

Une dynamique linguistique en évolution

La relation entre les francophones et les anglophones est cependant demeurée tendue pendant quelques années après la fin de la grève.

«On n’a pas tout de suite été pleinement respecté en tant que francophone, soutient Mme Savard. Il y a eu un certain respect qui s’est installé par la suite. Des parents anglophones voulaient que leur enfant soit bilingue, donc il l’envoyait à La Citadelle. On était plus à l’aise de s’exprimer en français.»

M. Martel a agi comme premier ministre inaugural du gouvernement des élèves en 1974. D’un côté, il ressentait une certaine réticence de la part des anglophones, mais aussi une plus grande part de respect.

«Il y aura toujours la vieille garde anglophone qui trouve que les francophones sont une nuisance. Par contre, il y avait une plus grande proportion d’anglophones qui respectaient ce qu’on a fait et qui nous félicitaient.»

M. Martel a poursuivi son parcours à l’école de sa jeunesse en tant qu’enseignant pendant 25 ans et n’a pas manqué l’occasion de rappeler les événements marquants de 1973 à ses élèves.

«Je suis retourné à l’école avec une grande fierté et en répétant souvent aux jeunes qu’on s’est battu. C’était encore très frais dans la mémoire des gens.»

«Il y a eu beaucoup de tension avant et après la grève, se souvient lui aussi Gérald Samson, qui a succédé à Jeannine Séguin à la direction de l’école en 1979. La Citadelle est devenue le bastion des francophones à Cornwall.»

Une fierté francophone en ascension

Cornwall abrite en ce moment quatre écoles élémentaires et deux écoles secondaires de langue française. Alors que certains pourraient penser que les francophones continuent d’être submergés par la vague d’anglophones, la relation est saine, soutient le directeur général de La Citadelle, Daniel Legros.

«Il y a beaucoup de parents unilingues anglophones qui insistent pour que leurs enfants suivent leur éducation en français. Ça ouvre beaucoup plus de portes en arrivant sur le marché du travail. À Cornwall, les entreprises recherchent de plus en plus des employés bilingues. Chez les nouveaux arrivants, nombreux sont francophones ou allophones et ils choisissent l’éducation en français pour leurs enfants.»

M. Legros souligne que l’école doit demeurer impliquée dans la communauté pour rappeler, autant aux francophones qu’aux anglophones, que le français a sa place dans cette ville.

«Plusieurs personnes avant moi ont lutté au combat, rappelle-t-il. Tout le monde doit continuer de se battre chaque jour pour que les francophones gardent leur place dans la communauté.»

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Photos

Plus de 700 élèves font la grève dans le gymnase de l’école secondaire Saint-Laurent, le 28 mai 1973. (Archives Le Droit)

Denise Savard, ancienne élève de l’école Saint-Laurent. (Courtoisie)

La une du journal Le Droit, le lundi 4 juin 1973.

Gérald Samson. (Courtoisie)

Plus de 700 élèves font la grève dans le gymnase de l’école secondaire Saint-Laurent, le 28 mai 1973. (Le Droit)

Daniel Legros, directeur général actuel de l’École secondaire catholique La Citadelle. (Courtoisie)

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  • Date de création 6 novembre, 2023
  • Dernière mise à jour 6 novembre, 2023
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