Éclairages distincts sur le Mois de l’histoire des Noirs

Si le Mois de l’histoire des Noirs permet de souligner les réussites et les perspectives de membres influents de la communauté, trois acteurs francophones nous proposent chacun une vision unique et complémentaire de cette célébration.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

Originaire du Rwanda, Esdras Ngenzi s’est frayé un chemin «de fil en aiguille» au sein du monde communautaire franco-albertain, admet-il simplement. Ses aspirations, en arrivant au pays, étaient toutes autres, lui qui s’imaginait faire carrière comme chercheur après avoir terminé son doctorat en France.

«Ce n’est pas seulement le cas pour les Noirs, je pense que c’est vrai pour tous les immigrants. Quand on arrive au Canada, notre expérience [antérieure] n’est pas nécessairement valide ici. J’ai fait le tour des universités, mais j’ai rapidement réalisé que sans références au Canada, j’allais devoir trouver autre chose», explique le directeur général du Centre d’accueil des nouveaux arrivants francophones de Calgary (CANAF).

C’est vers le système collégial francophone de l’Ontario qu’il s'est finalement tourné. Il y a occupé des fonctions d'enseignant et de coordonnateur de programme. Quelques années plus tard, en 2006, il a amorcé sa carrière de gestionnaire et d’administrateur au défunt Collège des Grands-Lacs, à Windsor, un premier pas vers le communautaire.

«Un grand pourcentage des étudiants étaient de nouveaux arrivants, alors c’est comme ça aussi que j’ai mis le pied dans l’établissement et l’intégration des immigrants», note le gestionnaire qui a aussi occupé la direction générale de l’ACFA régionale de Calgary de 2012 à 2018.

Ne pas hésiter à prendre sa place

Ces expériences lui ont enseigné qu’au-delà de ses origines, il avait le devoir de «faire sa place» et «d'occuper l’espace» qui lui revenait en surmontant les obstacles qui se dressaient sur son chemin.

«Moi, à un moment donné, je me suis concentré davantage sur mes responsabilités que sur le fait que je suis Noir. Je ne dis pas que ça n’existe pas le racisme systémique et la discrimination, mais dans mon travail, ce que je remarque, c’est que lorsque tu es compétent et que les choses sont bien faites, on ne les met pas en doute», souligne-t-il.

C’est aussi le message qu’il transmet aux membres de sa communauté : au sein de la diversité canadienne, il y a de la place pour chacun. Cette diversité inclut non seulement les individus d'ascendance africaine, mais aussi les membres de la francophonie.

«Mon souci, c’est de représenter toute la diversité et tous les nouveaux arrivants, peu importe leur culture, et de les aider à s’intégrer dans la communauté. Notre francophonie est très diversifiée.»

Il approche le Mois de l’histoire des Noirs avec ces mêmes nuances, en précisant que la communauté noire, tout comme plusieurs minorités visibles du Canada, est plus vulnérable à la discrimination. Pour lui, le mois de février est l’occasion de sensibiliser la population aux enjeux, mais aussi à la richesse des cultures noires qui contribuent à l’édification d’un pays multiculturel.

«Les Noirs ont beaucoup apporté, au niveau culturel, au niveau économique. C’est l’opportunité de célébrer ça et aussi d'éduquer les gens qui sont ignorants, qui ont peur de ceux qui ne leur ressemblent pas», fait-il valoir.

Derrière chaque victoire des sacrifices 

Tina Shimatu Dikamba entretient une connexion particulière avec le Mois de l'histoire des Noirs, marquée par une célébration personnelle de ses succès en tant qu'entrepreneure afro-descendante. Bien que la mise en marche de son restaurant de cuisine fusion africaine, D4J’S House of Chicken & Kababs, l'a confrontée à divers défis systémiques, elle voit désormais ce mois de février comme une occasion de célébrer ses petites victoires.

«Avant, j’avais les larmes aux yeux au mois de février, je voyais les souffrances et les injustices. Mais après avoir compris comment vivre avec ces difficultés, c’est une célébration que j’envisage avec joie», témoigne-t-elle.

Née en République démocratique du Congo, Tina a vécu en Zambie avant de s'établir au Nouveau-Brunswick, puis à Edmonton où elle a poursuivi des études en travail social. En 2015, elle a lancé son entreprise avec le désir de s'épanouir professionnellement tout en demeurant présente pour ses enfants.

«Ça me semblait être un projet réaliste avec une famille. Je ne voulais pas travailler à temps plein», raconte-t-elle.

Cependant, les embûches pour concrétiser ce projet ont été nombreuses. L’entrepreneure devait amasser des fonds pour lancer son projet et essuyait refus après refus. «Quand on est une personne de couleur, parfois on frappe aux portes, mais ça ne veut pas dire qu’on va vous ouvrir. Il faut se battre pour réussir, même quand on a la bonne documentation et qu’on est préparé, c’est plus difficile d’obtenir du financement», affirme-t-elle.

Prendre les choses en main 

Déterminée, Tina garde la tête haute et prend les rênes de sa situation. Plutôt que de trouver du financement bancaire, elle s’est déplacée dans les marchés agricoles et a offert ses services de traiteur dans divers endroits afin d’économiser assez pour lancer son restaurant dans Bonnie Doon.

«Aujourd’hui, nous avons le premier restaurant africain en Alberta dans une foire alimentaire et les mêmes personnes qui doutaient de moi viennent manger ici et apprécient ma nourriture», lance-t-elle, blagueuse.

Mais les défis persistent parfois. Tina ressent, par exemple, l'appréhension et la réticence de certains clients qu'elle doit presque «convaincre d’acheter notre nourriture». Cependant, elle choisit de considérer ces moments comme une ouverture au dialogue sur les différences et une occasion de briser des barrières.

«En février, chaque semaine, nous aurons des plats typiquement africains en promotion pour célébrer le Mois de l’histoire des Noirs et encourager davantage de clients à découvrir nos saveurs», affirme-t-elle.

Un mois métissé 

Cette célébration offre également une occasion de mettre en lumière des personnes métissées, aux origines mixtes, qui ne se définissent pas nécessairement à travers le prisme de l'afro-descendance.

«C’est l’opportunité de mettre l’accent sur la communauté noire et d’en apprendre plus sur ceux qui en descendent, sur les différentes cultures qui proviennent d’Afrique», explique Mathieu Lebon-Volia, président de Francophonie jeunesse de l’Alberta (FJA).

Lui-même originaire de La Réunion, il précise que les personnes métissées, «dans son expérience, du moins», ont tendance à s’identifier davantage à travers la culture de leur pays d’origine qu'à une ethnie en particulier. «[L’afro-descendance], c’est un peu perdu dans notre sang», témoigne-t-il.

Il ajoute rapidement que les expériences peuvent varier d’un individu à l’autre. Les personnes métissées d’Haïti et d’autres parties des Caraïbes pourraient avoir tendance à s’identifier davantage en tant qu’afro-descendants. «Toutes les cultures sont différentes et, vraiment, c’est à chacun de déterminer s’il se sent interpellé», souligne-t-il.

Le jeune homme, qui habite Edmonton où il termine des études en sciences politiques et en cinéma, considère également le Mois de l’histoire des Noirs comme une occasion de célébrer la diversité canadienne. Cette diversité, dit-il, s’exprime particulièrement dans la francophonie, une cause qui lui tient profondément à cœur et qui lui offre la possibilité d’«élargir ses horizons culturels».

«Je pense qu’à FJA, justement, on joue un excellent rôle d’inclusion auprès des jeunes de la communauté francophone de l’Alberta, pour leur montrer qu’ils ont tous une place, que toutes les cultures ont leur place», conclut-il.

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  • Date de création 4 février, 2024
  • Dernière mise à jour 31 janvier, 2024
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