Deux sœurs ont revendiqué une fausse identité inuite pour obtenir une bourse d’études

À la suite de suspicions de fraude, les organismes inuits Nunavut Tunngavik Inc (NTI) et l’association inuite Qikiqtani (QIA) ont demandé à la Gendarmerie Royale du Canada d’ouvrir une enquête sur les sœurs Amira et Nadya Gill ainsi que leur mère Karima Manji. Elles sont soupçonnées d’avoir menti au sujet de leur filiation afin que leurs noms soient ajoutés sur la Liste d’inscription des Inuits.

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Nelly Guidici

IJL – Réseau.Presse – L’Aquilon – Arctique

En 2016, le comité d’enrôlement d’Iqaluit avait accepté l’application d’Amira et de Nadya Gill sur la base des informations fournies dans leur dossier, à savoir que leur mère biologique est Inuk. Dans un communiqué de presse du 30 mars 2023, NTI a annoncé que le processus de retrait des sœurs Gill de la liste d’inscription a été entamé. L’organisme a également fait un signalement à la Gendarmerie royale du Canada afin qu’une enquête soit ouverte.

« [NTI] a pris connaissance de l’inscription frauduleuse possible d’Amira et de Nadya Gill dans l’Accord du Nunavut. Karima Manji a affirmé que les jumelles Amira et Nadya Gill étaient ses enfants adoptifs et a identifié une femme inuk comme leur mère biologique. »

La famille de Kitty Noah, résidant à Iqaluit, s’est dite choquée par cette affaire. Le nom de leur mère a été utilisé de façon frauduleuse alors que personne au sein de cette famille ne connait Amira et Nadya Gill. De plus, les membres de la famille pensent que Kitty Noah, décrite comme une personne vulnérable, a pu être exploitée. En revanche, la famille Noah a indiqué, dans une déclaration sur Facebook le 4 avril 2023, connaitre Karima Manji, la mère des jumelles.

« Ce fut un choc complet d’apprendre qu’Amira et Nadya Gill étaient enregistrées en vertu de l’accord du Nunavut sous le nom de ma mère, Kitty Noah. Il est préjudiciable aux collectivités autochtones de revendiquer et de tirer parti sous une fausse identité autochtone. Notre famille n’a pas demandé à faire partie de cette conversation, mais comme nous y avons été amenés, nous recherchons la vérité, la justice et la responsabilité, » a expliqué Noah Noah, le fils de Kitty Noah.

La famille Noah a expressément demandé à la GRC d’ouvrir une enquête et a salué la décision de NTI de supprimer les sœurs Gill de la liste d’inscription. De son côté, NTI a annoncé vouloir renforcer sa procédure d’acceptation afin d’éviter toute nouvelle tentative de fraude dans le futur.

Une bourse réservée aux étudiants inuits et autochtones
Après avoir été inscrites par NTI, les sœurs Gill ont demandé et obtenu une bourse auprès d’Indspire. Organisme national à but non lucratif, Indspire s’engage dans l’éducation des Premières Nations, des Inuits et des Métis par l’octroi de bourses d’études. Depuis 1996, l’organisme a distribué 190 M$ par l’intermédiaire de 59 000 bourses. Parmi les bénéficiaires figurent Amira et Nadya Gill qui sont toutes les deux diplômées de l’université Queens à Kingston en Ontario, respectivement en ingénierie et en droit avec une spécialisation en droit pénal.

Dans un communiqué de presse du 14 avril 2023, Brian Meawasige, directeur des communications pour Indspire, a indiqué suivre cette affaire de près et que l’organisme agira en conséquence une fois les conclusions établies.

En effet, NTI a contacté Amira et Nadya Gill et leur ont laissé un délai de 30 jours afin qu’elles justifient leur revendication d’une affiliation inuite. La GRC n’a pour le moment pas fait de déclaration sur l’ouverture possible d’une enquête.

Un commerce en ligne bâtit sur un mensonge
En novembre 2020, au cœur de la pandémie de COVID-19, les sœurs Gill ont ouvert une plateforme de vente en ligne de masques réutilisables. Les masques disponibles sur leur site appelé Kanata Trade Co mettaient de l’avant des artistes autochtones dont les œuvres étaient imprimées sur le tissu utilisé pour la fabrication des masques. Afin de remercier Indspire pour l’octroi de leurs bourses d’études, elles avaient décidé de remettre le fruit de leurs ventes en ligne à l’organisme.

Dans un bulletin d’information publié sur le site Indspire en avril 2021, les sœurs Gill ont déclaré : « Nous avons reçu de l’aide d’Indspire lorsque nous en avions le plus besoin. Il est maintenant temps de redonner. De nombreux étudiants autochtones éprouvent des difficultés et ils ont vraiment besoin de cette aide pour étudier et grandir. »
Au moment de la publication de ce bulletin, 6 000 $ avaient été reversés par les sœurs Gill.

La pointe de l’iceberg
Jean Teillet est Métis et avocate spécialiste en droit autochtone auprès du cabinet d’avocats Pape Salter Teillet dont les bureaux se situent en Colombie-Britannique et en Ontario. Dans un rapport qu’elle a remis à l’université de Saskatchewan le 17 octobre 2022 au sujet de la fraude sur l’identité autochtone au sein de l’université, Mme Teillet a rappelé que cette situation est malheureusement devenue commune au sein des institutions universitaires du Canada, mais aussi dans la société canadienne.

Cette pratique n’est pas nouvelle et a commencé lorsque les Européens sont arrivés en Amérique du Nord. Elle s’est poursuivie depuis.

Toute personne qui revendique une fausse identité autochtone le fait en général pour son bénéfice personnel au détriment des personnes autochtones. L’avocate regrette que, suite à l’affaire des sœurs Gill, ce sont les procédures des organismes autochtones qui en subissent les dommages.

Quelles sont les motivations derrière une revendication frauduleuse d’identité autochtone, inuite ou métisse ? Le gain personnel et l’avantage matériel sont les réponses les plus évidentes selon Mme Teillet. L’obtention d’opportunités en éducation, financement, un accès à des programmes professionnels, des emplois, mais aussi du prestige et de l’argent sont quelques-unes des raisons invoquées dans le rapport de 86 pages.

« C’est une histoire triste et assez sinistre qui révèle la cupidité et la tentation dans lesquelles les gens sombreront pour saisir toutes les opportunités. Cette histoire montre aussi à quel point les gens sont malhonnêtes dans leur tentative d’obtenir un emploi ou une bourse, » regrette-t-elle

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Titre : 2024.04.21_AA_Deux soeurs ont revendiqué une fausse identité inuite pour obtenir une bourse d’étude_NG

Légende : (Capture d'écran du site West Virginia University Athletics)

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  • Date de création 23 février, 2024
  • Dernière mise à jour 23 février, 2024
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