Des fraises locales à l’année, sans serre?

En plein cœur de janvier, les amateurs de produits locaux sont souvent mal pris, le temps venu de manger des fruits. Certains peuvent avoir fait des réserves de baies au congélateur, d’autres mangeront des pommes fraîches de leur région encore sur les étals. Plusieurs choisiront les fraises d’ici, produites en serre. Mais est-ce un choix écologique? Une équipe de chercheurs de l’Université d’Ottawa travaille sur un nouveau modèle de culture fruitière hydroponique moins énergivore.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

La popularité de la fraise est incontestable au Canada: c’est le fruit importé qu’il préfère acheter, après les raisins. Cependant, le volume de fraises produites au pays stagne et l’importation augmente, tout comme la quantité de gaz à effets de serre (GES) nécessaires au transport. Une équipe de scientifiques et de partenaires du secteur privé cherche donc à prolonger la saison des fruits et légumes qui poussent à côté de chez nous.

«Je pense qu’on n’a pas le choix de trouver de nouvelles manières de cultiver nos aliments», affirme Patrick Dumont, professeur adjoint en génie de la conception à l’Université d’Ottawa et membre de l’équipe. «On a vu durant la pandémie que notre dépendance aux produits internationaux est fragile. La demande est de plus en plus grande et le coût du transport également.»

Pourquoi ne se fie-t-on pas à la culture de serre, déjà établie?

«Les fraises produites en serre consomment beaucoup d’espace, d’énergie et d’eau», répond le professeur. «Les GES émis dans les serres sont généralement plus élevés que ceux qui proviennent du transport des États-Unis.»

Au Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG) à Montréal, le chercheur Elliot Muller explique que la méthode de production d’un aliment compte beaucoup plus dans l’empreinte écologique d’un aliment que son déplacement.

«Nos données ne sont pas tout à fait à jour, mais j’aurais tendance à opter pour une fraise importée », indique M. Muller quand on lui demande quelle est l’option la plus écolo pour les amateurs de fraises. «Les serres qui sont chauffées à l’énergie fossile ont un plus grand impact écologique que le transport de la Californie vers le Québec. Il y a toutefois d’autres facteurs à prendre en considération, comme l’utilisation de pesticides et l’emballage.»

Au Canada, la fraise est d’ailleurs le produit frais où l’on détecte le plus de résidus de pesticides, suivie de l’épinard.

Environnement contrôlé

Les recherches, financées grâce à un don d’un million de dollars de la Fondation de la famille Weston, se déroulent principalement à la ferme Fieldless à Cornwall. La professeure agrégée de la Faculté des sciences de l’Université d’Ottawa, Allyson MacLean, étudie l’évolution des plants de fraises dans un laboratoire installé dans un conteneur. On est loin des 6000 pieds carrés d’installations hydroponiques qui abritent les laitues et les champignons à la ferme Fieldless.

Le principe de base de la culture verticale, explique le fondateur de la ferme Fieldless, Jon Lomow, est le contrôle entier de l’environnement. Les plants de légumes et de fruits sont superposés et évoluent sous une lumière artificielle et dans une atmosphère adaptée à leur croissance.

L’évolution des fraises est plus compliquée que celle de la laitue vu les nombreux stages de floraison, explique M. Lomow. Le fruit a besoin d’être pollinisé.

Des tubes serpentent dans les plants de fraises, pour leur offrir une eau qui contient les microbes optimisant leur croissance. Le gaz carbonique, dont les plantes ont besoin, est capté à l’extérieur et amené aux plantes, qui en ont besoin. Leurs grandes feuilles se chargent de capter la lumière.

Les plants de fraises ont aussi besoin de pollinisation pour produire des fruits. Patrick Dumont, spécialiste de la vibration, tente de reproduire l’effet d’une abeille à l’aide d’une brosse automatique qui vibre, en passant près de la fleur.

«Le problème de la culture verticale est souvent l’absence des abeilles, note-t-il. Elles n’aiment pas l’intérieur, ce n’est pas bon pour leur santé. Étant donné qu’elles vibrent lorsqu’elles pollinisent les fleurs, nous devons trouver un moyen d’imiter ce geste. Une fraise au dessus tout blanc signifie qu’elle n’a pas été assez pollinisée.»

Cette stratégie peut être utilisée pour les autres aliments à fleurs, comme les baies ou les tomates.

Échelle commerciale

En activité depuis 2020, la ferme Fieldless vend déjà ses produits dans la plupart des supermarchés Farm Boy et Loblaws de l’Ontario. Située à Cornwall, la ferme achète son électricité du côté québécois, donc de source hydroélectrique, ce qui réduit encore plus son impact écologique.

Habitué du commerce à grande échelle des aliments de la culture hydroponique, Jon Lomow s’est assuré que le produit serait accessible à la majorité de la population.

«Les grossistes aiment la production constante et je crois que nous pouvons y parvenir avec les fraises, souhaite-t-il. C’est sûr que nous pourrions vendre ces fruits à un prix élevé et nous trouverions preneur, mais ce ne serait pas démocratique. Notre but est d’offrir des fraises à un prix raisonnable pour nourrir la population localement.»

L’équipe, dont les recherches ont débuté en juillet 2023, a jusqu’à la fin de l’année 2024 pour prouver que sa technologie fonctionne. Les cinq années suivantes seront dédiées à tenter d’amener son produit à une échelle commerciale.

Ces «baies du Nord» sont destinées à apporter le soleil de juillet 365 jours par année dans les foyers canadiens.

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Photos

La professeure agrégée de la Faculté des sciences de l’Université d’Ottawa Allyson MacLean et le fondateur de Fieldless Jon Lomow tentent de rendre la culture de fraise hydroponique à l'échelle commerciale. (Courtoisie)

Patrick Dumont, professeur adjoint en génie de la conception à l’Université d’Ottawa, affirme que la culture hydroponique est plus écologique que celle en serre. (Charles Fontaine/Le Droit)

Les plants de fraises évoluent dans une atmosphère entièrement contrôlée. (Courtoisie)

Patrick Dumont se charge de concevoir une technologie automatique pour polliniser les fraises. (Charles Fontaine/Le Droit)

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  • Date de création 29 janvier, 2024
  • Dernière mise à jour 29 janvier, 2024
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