Des familles demandent la libéralisation de la messe en latin dans le diocèse de Moncton

Deux mois après l’entrée en fonctions de Mgr Guy Desrochers au siège archiépiscopal de Moncton, des familles souhaiteraient que le prélat autorise la messe en latin dans la région. Elles aimeraient ne plus se sentir exclues et espèrent que le nouvel archevêque saura se montrer sensible à leur supplique.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

  

Dans le sous-sol de l’église St. Lawrence O’Toole à Irishtown, l’abbé qui s’apprête à célébrer l’eucharistie est reconnaissable entre tous : c’est en soutane qu’il accueille ses fidèles. Jeune, beau et charismatique, il pourrait faire chavirer bien des cœurs, mais il a choisi de consacrer sa vie à Dieu. Pour commencer, il va revêtir une aube blanche, puis une étole et une chasuble. La raison en est qu’il va offrir la messe selon la forme traditionnelle.

Célébrée «ad orientem» (face à l’orient), elle suit le missel tel qu’il a été réformé par le pape saint Jean XXIII en 1962, alors que s’ouvrait le Concile Vatican II. Les prières sont dites en latin, langue universelle de l’Église. L’épître et l’évangile sont lus en latin puis en français et en anglais. L’homélie est prononcée en langue vernaculaire, d’abord en français, puis en anglais. En d’autres termes, la messe traditionnelle est bilingue. Lorsque le public reflète le bilinguisme de la société canadienne, elle est même trilingue.

Au cœur du débat sur la messe en latin dans l’archidiocèse de Moncton se trouve une question fondamentale : la coexistence harmonieuse de la tradition et de la modernité au sein de l’Église catholique. En tant que seule province bilingue du Canada, le Nouveau-Brunswick offre un éclairage unique sur cette question, soulignant la possibilité d’une convergence équilibrée entre les deux formes liturgiques. Les partisans de la libéralisation de la messe traditionnelle, autorisée par un motu proprio du pape saint Jean-Paul II et renforcée par son successeur Benoît XVI, évoquent avec conviction les similitudes entre cette situation et la cohabitation de l’anglais et du français dans la vie civile.

«Le Nouveau-Brunswick est un exemple concret de la façon dont des éléments culturels et linguistiques différents peuvent coexister dans une même société. Si nous célébrons la dualité linguistique, pourquoi ne pourrions-nous pas également reconnaître la diversité dans notre culte religieux? La messe en latin peut être considérée comme une forme liturgique ‘bilingue’ au sein de notre foi», avance Catherine Gagnon.

L’analogie entre la diversité linguistique du Nouveau-Brunswick et la diversité liturgique s’étend également aux préoccupations entourant la justice et l’équité au sein de communautés multiculturelles. Dans un monde où la société est de plus en plus multiconfessionnelle, Marc LeBlanc estime qu’il est crucial de garantir la liberté de culte pour toutes les croyances religieuses, comme la polémique entourant la ménorah à Moncton vient de le rappeler.

«La diversité religieuse est un aspect fondamental de notre société moderne. Dans un tel contexte, il serait injuste que seuls les catholiques attachés à la forme extraordinaire de la liturgie soient privés de la liberté de célébrer leur foi de la manière qui résonne le plus profondément en eux. La liberté de culte est une valeur universelle qui doit être protégée pour tous», affirme-t-il.

Un droit garanti par la Charte et la Déclaration des droits de la personne

M. LeBlanc, qui dit avoir étudié le droit constitutionnel, estime que le motu proprio Traditionis Custodes, publié il y a deux ans par le pape François pour restreindre la messe en latin, est inapplicable au Canada car il enfreindrait l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés.

«Ce que décide une autorité étrangère, et le pape est un chef d’État étranger (la Cité du Vatican), ne peut contrevenir à notre constitution. C’est de l’ingérence étrangère dans nos affaires», soutient-il. Ce dernier rappelle que l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui a fêté son 75e anniversaire le 10 décembre, dit sensiblement la même chose que l’article 2 de la Charte.

L’argument selon lequel la messe en latin, en tant que manifestation de diversité religieuse, peut coexister avec la forme liturgique ordinaire instaurée par le pape Paul VI à la fin des années 60, gagne en pertinence à mesure que les communautés religieuses et les croyances se diversifient au sein de la société civile. Les partisans de cette libéralisation considèrent cela comme un moyen de renforcer la compréhension mutuelle et de favoriser un environnement où chacun peut exprimer sa foi de la manière qui lui parle le plus.

«De nos jours, le Nouveau-Brunswick est une mosaïque de croyances et de valeurs. Nous devons cultiver le respect et la coexistence pacifique, et cela inclut notre vie spirituelle. Permettre la messe en latin ne diminue en rien l’exercice de la forme liturgique ordinaire, mais enrichit plutôt la palette de possibilités pour les fidèles de vivre leur foi d’une manière qui résonne le plus avec eux», renchérit Sophie Ouellette.

Ils ne rejettent pas le Concile Vatican 2

Les familles qui implorent le nouvel archevêque de Moncton de libéraliser la messe en latin dans le diocèse soulignent également son potentiel pour créer une continuité avec la façon dont leurs ancêtres vivaient leur foi dans le contexte de la Renaissance acadienne. Elles rejettent l’idée que cette initiative serait une tentative de régression, insistant sur le fait qu’elle peut coexister harmonieusement avec d’autres formes de culte contemporaines.

«Libérer la messe en latin ne signifie pas tourner le dos aux enseignements du Concile Vatican II, soutient Isabelle Bélanger, mais plutôt offrir une diversité qui reflète l’étendue de notre patrimoine culturel au sein de l’Église. La messe en latin a une profondeur et une solennité uniques. Elle nous connecte avec une tradition millénaire et nous fait ressentir un lien direct avec les générations précédentes. C’est un patrimoine spirituel que nous souhaitons préserver pour nos enfants.»

Le célébrant est venu du Québec passer des vacances en famille à Maple Hills. Plaidant pour sa chapelle, le jeune abbé, qui préfère rester anonyme, fait valoir que le latin transcende les barrières culturelles et linguistiques et crée une communion profonde entre les fidèles d’origines diverses. Sa vocation est d’être universel. «La messe en latin offre une dimension contemplative qui encourage la réflexion personnelle et la connexion intérieure avec Dieu. C’est une expérience unique que nous aimerions voir disponible pour tout le monde.»

Le jeune prêtre d’origine acadienne exerce son ministère au Québec. Il appartient à la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, une communauté traditionaliste fondée il y a 35 ans et approuvée par le pape Jean-Paul II. Il soutient avec ferveur que la demande que ses fidèles veulent formuler à Mgr Desrochers va au-delà de la réflexion sur la liturgie. C’est une exploration des valeurs fondamentales de liberté religieuse et d’inclusivité au sein du Canada moderne.

«Dans un contexte où le Nouveau-Brunswick incarne la dualité linguistique du Canada et où la société est de plus en plus multiconfessionnelle, il semble logique que les deux formes liturgiques, ordinaire et extraordinaire, puissent coexister harmonieusement, reflétant ainsi la riche diversité de la foi et des croyances dans notre monde en évolution», exprime-t-il.

La tradition attire la jeunesse

Les propos qui précèdent ont été recueillis à la fin du mois d’août. Autorisée par Mgr Valéry Vienneau, la messe qui s’achève a été célébrée au sous-sol de l’église St. Lawrence O’Toole. Ce n’est pas sans rappeler l’Église des catacombes des premiers siècles de l’ère chrétienne. Les fidèles interrogés à la sortie de la célébration témoignent qu’il existe une réelle demande dans la région pour que le culte puisse être exercé librement dans les églises du diocèse, et non en catimini.

Fait remarquable : il y a là beaucoup de jeunes. Le contraste qui apparaît avec les fidèles qui assistent aux célébrations sous la forme ordinaire est plus que saisissant. Les vocations sacerdotales reflètent la même dynamique : dans leur quête d’authenticité et d’absolu, les jeunes sont nombreux à se tourner vers la tradition. Aux dires des personnes interrogées, autoriser son libre exercice reviendrait à garantir la pérennité du patrimoine édifié par des générations d’Acadiennes et d’Acadiens.

«De plus en plus, au fur et à mesure que disparaît la génération qui a accompagné la réforme des années 60, des églises ferment faute de paroissiens. La messe traditionnelle attire la jeunesse. Si nous voulons éviter de perdre le patrimoine que nos parents ont construit, il faut attirer les jeunes. Or, tout démontre que la liturgie latine les séduit par sa beauté et sa profondeur», fait valoir Thérèse Melanson. Venue avec trois de ses petits-enfants, cette grand-mère, qui dit avoir suivi la réforme dans les années 70, confie être retournée à la tradition il y a une quinzaine d’années. La messe traditionnelle était célébrée à l’église Notre-Dame-de-Lorette à Lakeburn (Dieppe), fermée il y a cinq ans et depuis démolie.

Membres de la Moncton Latin Mass Society, toutes et tous ont l’espoir que leur nouvel archevêque comprenne leurs préoccupations et qu’il prenne des mesures positives pour répondre à leur requête. En attendant, ils sont prêts à parcourir des centaines de kilomètres pour se recueillir au son de la belle musique grégorienne.

C’est ce qu’ils ont fait en octobre dernier, alors qu’un autre abbé de la Fraternité Saint-Pierre est allé célébrer la messe latine à l’église St. Patrick à Halifax. La cérémonie, qui a réuni environ 150 personnes, a reçu l’autorisation de Mgr Brian Dunn, archevêque d’Halifax-Dartmouth. Cette fois, elle s’est déroulée dans le chœur de l’église, et non au niveau du sous-sol.

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Photos

Titre : St. Lawrence
Légende : Il y avait beaucoup de jeunes au sous-sol de l’église St. Lawrence O’Toole (Irishtown), dimanche 27 août 2023. Sur 75 personnes présentes, 25 étaient âgées de zéro à 18 ans.
Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Livrets
Légende : Des livrets pour suivre la messe en latin étaient disponibles dans les deux langues officielles du Canada.
Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : St. Patrick
Légende : La messe traditionnelle a été célébrée le 21 octobre en l’église St. Patrick à Halifax. Au Nouveau-Brunswick, l’abbé Peter Melanson en célèbre une chaque premier samedi du mois à Fredericton.
Crédit : Courtoisie

Mgr Desrochers ouvert mais prudent

Interrogé par Le Moniteur Acadien au sujet de la requête que souhaite lui formuler les membres de la Moncton Latin Mass Society, Mgr Guy Desrochers n’est pas fermé à l’idée d’explorer les possibilités. Lorsqu’il était évêque de Pembroke (Ontario), il avait désigné une église pour la célébration de la messe latine. Incidemment, cela s’était produit au début de la pandémie.

«Je leur ai dit de respecter les mesures sanitaires et de mettre un masque, mais un grand nombre d’entre eux ont refusé de s’y conformer. Finalement, j’ai dû retirer mon autorisation jusqu’à la fin des restrictions», indique le prélat.

À travers le monde, il est de notoriété publique que certains traditionalistes se positionnent à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Sachant cela, l’archevêque de Moncton voudrait s’assurer que les fidèles qui réclament la messe en latin ne sont pas de ceux qui pourraient causer des problèmes.

Les représentants de la Moncton Latin Mass Society rejettent cette étiquette véhiculée par des clichés. Ils se défendent de professer des positions extrémistes et ne demandent qu’à bénéficier de la même liberté de culte que tous les croyants, peu importe leur foi. «Nous sommes des citoyens paisibles et ordinaires qui ne voulons faire de tort à personne», soutiennent-ils.

À l’heure actuelle, la plupart d’entre eux se rendent régulièrement à Fredericton où, sur autorisation de l’évêque de Saint-Jean et en conformité avec le motu proprio Traditionis Custodes, la messe traditionnelle en latin est célébrée chaque premier samedi du mois à l’église Sainte-Anne-des-Pays-Bas. Intitulée Messe traditionnelle en latin au Nouveau-Brunswick, leur page Facebook compte 2900 abonnés. – DD

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  • Date de création 14 décembre, 2023
  • Dernière mise à jour 14 décembre, 2023
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