Dépit ou nécessité, la littérature franco-albertaine s’édite au Québec

Les artisans du livre de l'Alberta, privés d'une maison d'édition locale dans leur langue, se tournent souvent vers d'autres provinces canadiennes, notamment le Québec, pour chercher des occasions de publication. Optimistes malgré cette contrainte, des autrices mettent en lumière les avantages de cette démarche : une plus grande exposition pour leurs œuvres, mais aussi la création d’un espace de dialogue propice à l’exploration des réalités de la francophonie minoritaire qui sont à la source même de leurs créations.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

Véritable touche-à-tout, Stéphanie Bourgault-Dallaire a exploré divers styles d’écriture avant de se plonger dans la littérature jeunesse. Enseignante en maternelle à l’École Gabrielle-Roy, à Edmonton, elle a débuté comme chroniqueuse dans les pages de votre journal avant de se consacrer à sa trilogie pour adulte, ultérieurement adaptée en websérie.

Cet automne, elle a renoué avec ses premières armes en publiant un album intitulé La fée des points de suture aux Éditions les Malins, destiné aux tout-petits. «Comme la littérature jeunesse fait partie de moi et de mon quotidien comme enseignante, j’y suis arrivée naturellement. Un jour, il y a une élève qui est arrivée avec un point de suture au menton et c’est comme ça que l’idée a jailli», explique-t-elle.

Si l’ensemble de ses œuvres a été publié au Québec, province d’origine de cette Franco-Albertaine d’adoption, elle voit là une occasion exceptionnelle de faire rayonner ses écrits à une grande échelle dans le but de «rejoindre le plus de gens possible». Elle cherche d’ailleurs à rompre avec cette vision territoriale de la littérature qui attache souvent un auteur à un lieu. Une perspective peu compatible avec l’idée de francophonie nord-américaine, morcelée et dispersée, qui échappe à toute délimitation par des frontières fixes et se définit plutôt par sa force de résistance.

«Je pense qu’il faut voir les œuvres littéraires pas seulement comme un produit local, mais comme un produit d’art francophone [...] qui ne peut être compartimenté par province», avance-t-elle. En dissolvant ces frontières, des ponts peuvent également être érigés entre les différentes francophonies de la minorité pour mettre en lumière leurs enjeux particuliers, clame Stéphanie.

«Au Salon du livre de Montréal, par exemple, j’ai été capable de discuter de notre réalité franco-albertaine avec toutes sortes de personnes influentes du milieu littéraire, dont la nouvelle maison d’édition en Louisiane qui fait face à des défis similaires aux nôtres [...] Venir d’ailleurs, ça ne nous désavantage pas, au contraire, ça attire la curiosité, ça ouvre la discussion», témoigne-t-elle.

La littérature comme lieu d’échange

Evelyne Gagnon, poète, essayiste et professeure titulaire en études littéraires à l’Université d’Athabasca, partage cette volonté de dialogue. «Ouvrir un recueil de poésie, c’est rencontrer une autre humanité, c’est entamer un dialogue et passer au-delà de nos préjugés. Ça me passionne [...]. De la même façon, le fait de publier au Québec en tant qu’autrice franco-albertaine, je vois ça comme une possibilité de conversation», avance-t-elle.

Tout comme Stéphanie, c’est au Québec que cette poète a publié l’essentiel de ses écrits. Son œuvre explore principalement les formes de mélancolie contemporaine et leur rapport avec l’écoanxiété et le sentiment de fin du monde. Incidents (et autres rumeurs du siècle), son premier recueil a vu le jour en 2022 aux éditions du Noroît.

La poète aborde la question territoriale avec une perspective quelque peu différente, la considérant davantage comme une nécessité, une façon de se connecter à des expériences particulières, ancrées dans un lieu. «Le fait d’évoluer ici, en Alberta, ça a teinté plusieurs des réflexions et des interrogations de mon livre, notamment par rapport à l’écoanxiété. Il y a une façon d’habiter le monde et la langue qui est propre à l’expérience franco-albertaine, dans toute son hybridité, et qui s’exprime dans mes écrits», analyse-t-elle.

Cette spécificité devient alors un point de différenciation ou de convergence autour duquel des conversations peuvent se développer. «Depuis que je suis installée dans l’Ouest, je vois encore plus l’importance de créer des lieux de conversation et d’échange entre les différentes francophonies qui existent au Canada parce qu’elles sont toutes uniques à leurs façons et témoignent de notre résistance», ajoute la poète en faisant échos aux propos de Stéphanie Bourgault-Dallaire.

Un marché à redynamiser? 

La vitalité de la littérature franco-albertaine s'enracine profondément dans sa capacité à toucher et à engager un lectorat diversifié. En tant qu'enseignante et autrice de littérature jeunesse, Stéphanie s'investit dans la valorisation de la littérature francophone, cherchant à inspirer les enfants et à les encourager à embrasser la richesse de leur héritage culturel. «J’essaie de rendre l’écriture plus accessible à l’école, mais aussi quand je donne des présentations à des groupes, à l’Institut Guy-Lacombe de la famille», souligne-t-elle.

Dans la même lignée, Evelyne Gagnon est convaincue de la nécessité de revitaliser la présence des auteurs francophones de l’Ouest au sein du système d'éducation. À ses yeux, c’est cette démarche qui permettra de maintenir la vitalité de cette littérature. «Il faut cultiver un lectorat. Cela passe par l'éducation, l'instauration d'un amour pour la lecture et la culture chez les enfants, mais également par la création de lieux de rencontre et d'échange», explique-t-elle.

Elle nourrit le rêve d'un salon du livre francophone offrant aux auteurs albertains une plateforme de réseautage et de mise en valeur de leurs œuvres. Stéphanie renchérit sur cet objectif en mentionnant le travail essentiel du Regroupement des écrivain.e.s du Nord et de l'Ouest canadiens (RÉNOC) qui œuvre à promouvoir les œuvres hors Québec. Elle souligne également le rôle du Regroupement artistique francophone de l’Alberta (RAFA), actif dans le développement et la promotion des arts dans la province.

«Il y a plusieurs canaux pour encourager la littérature, mais pour les jeunes, ça peut avoir l’air d’un océan. Ce que je peux apporter, c’est de diriger les jeunes vers les ressources qui existent», conclut-elle.

  • Nombre de fichiers 5
  • Date de création 23 décembre, 2023
  • Dernière mise à jour 23 décembre, 2023
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