De la mise au recyclage jusqu’à la transformation Le recyclage au Yukon : un modèle non durable

Le modèle de consommation au Yukon n’est pas adapté à la capacité de traitement des déchets. Ainsi, le système de recyclage n’est pas durable et ne permet pas l’acheminement de toutes les matières recyclables.

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Camille Boyer

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

 

Au Yukon, Raven Recycling Society traite les matériaux recyclables pour le public, les secteurs privés et le gouvernement. L’entreprise reçoit des matériaux recyclables en provenance de tout le territoire, comme le papier, le carton, le plastique, le textile, l’étain (conserves) et les consignes, mais elle ne fait aucune transformation.

Son rôle consiste à trier les matériaux ainsi qu’à planifier leur acheminement vers des intermédiaires (appelés courtiers). Raven Recycling Society coordonne ainsi la transmission de chaque matériau au courtier approprié et choisit, dans la mesure du possible, les entreprises de transformation qui en feront le traitement.

Le cheminement des matériaux

« Tous les matériaux qui arrivent par nos bacs de dons ou par la collecte de recyclage en bordure de rue passent par notre ligne de triage », explique la directrice générale de Raven Recycling Society, Heather Ashthorn. « Nous recevons aussi des matériaux de toutes les communautés qui sont déjà triés », poursuit-elle.

À l’exception du verre, une fois que tous les matériaux ont été séparés, ils sont mis dans une presse à balles. En ressortent de gros blocs qui sont ensuite expédiés vers des courtiers à l’extérieur du territoire.

« Nous cherchons en premier des endroits qui vont distribuer les matériaux en Amérique du Nord. Le courtier pour le papier va vendre le carton à des industries qui transforment le carton en nouveaux produits de papeterie. Nous envoyons l’étain quelque part où l’on croit que les chances qu’il soit remanufacturé en Amérique du Nord sont les meilleures. Mais une fois que les matériaux sont expédiés aux courtiers, nous n’avons vraiment aucun contrôle sur où ils iront », précise Heather Ashthorn.

En ce qui concerne les plastiques, ceux-ci sont envoyés au courtier Merlin Plastics en Colombie-Britannique, qui est également un recycleur et transformateur. Il assure ainsi une transformation des plastiques au Canada.

Recycler au Yukon, une bonne alternative?

Toutes les matières recyclables recueillies par Raven Recycling Society sont acheminées vers les courtiers sur des camions utilisés par diverses entreprises de transport au territoire. « Nous permettons en fait à ces autres compagnies qui apportent des matériaux d’opérer à coûts réduits et nous gardons notre empreinte carbone aussi basse que possible », explique la directrice générale.

« Ce n’est pas l’idéal, nous sommes très éloignés et nous ne pouvons pas régler ce problème. Mais l’impact environnemental engendré par le recyclage au territoire en vaut quand même la chandelle. C’est à cette conclusion qu’on en vient lorsque l’on utilise des calculateurs d’émissions de gaz à effet de serre», affirme-t-elle.

Effectivement, un rapport sur l’évaluation des impacts du recyclage au Yukon, publié en 2021 par Morrison Hershfield, un bureau d’études spécialisées, démontre qu’en 2019, le recyclage au Yukon a contribué à une réduction des gaz à effet de serre de 16 670 tonnes de dioxyde de carbone (CO2), ce qui équivaut à 3 615 voitures de moins sur la route pendant une année. Financée par le gouvernement du Yukon, cette étude a également révélé que 7 000 tonnes de matières recyclables ont évité le dépotoir, ce qui représente le tiers des déchets au dépotoir cette même année.

« C’est quand même mieux d’envoyer les matériaux recyclables à ces usines, mais beaucoup de questionnements persistent sur où les matériaux vont, ce qui leur arrive vraiment et où ils finiront. Certains d’entre eux seront probablement incinérés, ce qui n’est pas du tout ce que l’on souhaite », remarque Heather Ashthorn.

Crise du marché

Le problème majeur ces dernières années est la chute totale de la valeur des matériaux. Se débarrasser de certains d’entre eux est désormais très coûteux, d’autant plus que Raven Recycling Society a toujours compté sur la valeur résiduelle des matériaux pour l’aider à soutenir financièrement ses programmes.

« En ce moment, le marché du carton a chuté et nous n’arrivons pas à nous en débarrasser. Nous recevions 130 $ la tonne l’année dernière et maintenant la valeur est à 0 $. Nous ne recevons aucun argent pour le carton. Nous utilisions cet argent, nous faisions presque un demi-million par année et c’est ce qui payait pour que nous fassions tout ce travail », explique Heather Ashthorn.

La situation est similaire pour d’autres matériaux, notamment le plastique.

Des coûts élevés

« Celle-là brise tout le temps et celle-ci brise tout le temps aussi! », lance la directrice générale en pointant différentes machines dans l’entrepôt. « Nous avons donc des réparations constantes à effectuer », continue-t-elle, presque amusée. « Si celle-ci [la presse à balles] cesse de fonctionner, le recyclage pour le territoire entier arrête. Donc nous mettons beaucoup d’argent, d’énergie et de temps pour s’assurer qu’elle reste en bon état », indique-t-elle.

Qu’en est-il du verre?

Le verre n’est pas une matière recyclée au Yukon. Tout le verre collecté est broyé et appliqué dans les dépotoirs ou utilisé sur les routes pour déglacer en hiver.

« Plusieurs usines recyclent ce matériau, mais le verre broyé est simplement tellement lourd que le transporter si loin n’en vaut juste pas la peine, il n’a pas vraiment de valeur », affirme Dave Albisser, directeur du ministère des Services aux collectivités du gouvernement du Yukon. « Les fabricants ne sont tout bonnement pas prêts à l’acheter sous cette forme », explique-t-il.

Pourquoi ne pas transformer nos propres matériaux recyclables?

À la lumière de ces informations, une question se pose : pourquoi ne pas transformer nos matières recyclables nous-mêmes?

Dave Albisser soutient que « nous ne sommes simplement pas assez gros ».

« Ça prend de gros équipements. En Colombie-Britannique et en Alberta, il n’y a que quelques usines dans toute la province qui traitent les matériaux recyclables », affirme-t-il.

« Il y a eu, par le passé, des petits microtransformateurs [...] mais la plupart ont fait faillite, simplement parce qu’il s’agit d’une industrie dans laquelle tu dois être assez gros pour que ça marche sur le long terme. Le matériel brut que tu produis doit être compétitif sur le marché pour arriver à le vendre à nouveau », précise-t-il.

« Les plastiques 3 à 7, même ces matériaux devaient aller aux États-Unis jusqu’à récemment, parce qu’il n’y avait pas d’usine pour ça au Canada, encore moins au Yukon », continue le directeur dans un même souffle.

Raven Recycling change d’avenue 

En février, Raven Recycling Society a annoncé que l’association cesserait d’accepter des matériaux par ses bacs de dons à partir de 2024. Elle affirme que la zone de dépôt des dons a été conçue pour être temporaire, en attendant que le gouvernement développe un système plus accessible.

L’organisme a également pris la décision de cesser d’injecter ses faibles revenus dans le maintien des services de recyclage. « Nos gouvernements doivent faire ça maintenant. Nous sommes heureux de faire le traitement, nous ferons tout le travail, nous sommes très bons pour faire le travail, mais nous ne voulons plus avoir à payer pour le faire », déclare Heather Ashthorn.

Le gouvernement tend donc vers une nouvelle méthode de financement : la responsabilité élargie des producteurs (REP). Il s’agit d’un système où ces derniers sont responsables de la fin de vie des matériaux qu’ils créent. Ce système encourage par le fait même la fabrication de produits plus écologiques, faciles à recycler ou à réutiliser.

« Le ministère de l’Environnement oriente un changement réglementaire vers la mise en place de la responsabilité élargie des producteurs. La REP est d’ailleurs en place à travers le Sud du Canada et toutes les provinces depuis des années », remarque Dave Albisser. La REP ne concernerait que les emballages imprimés et le papier, et serait mise en place d’ici 2025.

D’importants changements s’annoncent donc pour le système de recyclage actuel au Yukon.

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Photos

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Légende : Une fois que tous les matériaux ont été séparés sur la ligne de triage, ils sont mis dans une presse à balles. En ressortent de gros blocs qui sont ensuite expédiés vers des courtiers à l’extérieur du territoire.

Photo : Camille Boyer

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Légende : Heather Ashthorn est la directrice générale de Raven Recycling Society.

Photo : Camille Boyer

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  • Date de création 30 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 24 juin, 2023
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