Dans le hockey, «une culture de privilèges accordés aux joueurs»

Depuis cinq mois, un scandale d’agression sexuelle éclabousse Hockey Canada : huit joueurs de hockey junior auraient violé collectivement une jeune femme en 2018.  Dominique Trottier, psychologue et professeure à l’Université du Québec en Outaouais, analyse plusieurs déterminants clés dans cette affaire : la masculinité toxique et la culture du silence qui prévalent dans le monde du hockey.

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Propos recueillis par Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

 

 

Depuis avril dernier, un scandale national secoue Hockey Canada.  Selon les dernières révélations, les dirigeants de l’organisation ont conclu une entente avec une femme qui aurait été violée collectivement par huit joueurs de hockey junior en juin 2018.  Le gouvernement fédéral et plusieurs commanditaires ont décidé de retirer leur financement à Hockey Canada en attendant plus de renseignements.

Dominique Trottier, professeure au département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais, nous explique comment la culture de la masculinité, portée à son paroxysme dans le sport, a rendu possibles de tels crimes sexuels, et comment le silence a pu perdurer si longtemps.

Derrière ce viol, est-ce qu’il y a des mécanismes psychologiques que l’on peut expliquer?

On attend socialement des hommes un certain type de comportements ultra-masculins.  Ils doivent démontrer leur force physique, être durs sur le plan émotif.  C’est d’autant plus vrai dans le monde du sport et du hockey.  Il faut être plus fort, plus puissant que l’adversaire.  Les rapports sexuels sont aussi valorisés à l’extrême.  Les joueurs se forgent un statut vis-à-vis des autres à travers leurs prouesses sexuelles.

Il y a vraiment quelque chose de particulier dans la culture du hockey.  C’est l’un des seuls sports qui autorise ouvertement l’usage de la force et les batailles à mains nues.  Sur la glace, les insultes liées aux caractéristiques ou aux comportements féminins d’un joueur sont communément admises.  Une hiérarchie malsaine s’installe entre les hommes et les femmes.  Tout ce qui est lié à la femme, à l’empathie, ausoin est dévalorisé.

Ça renvoie à l’image de la femme dans la société, qui doit être gentille, respectueuse à l’écoute des besoins des autres…

Exactement, et c’est à l’opposé des hommes qu’on incite à atteindre leur objectif, à refuser l’échec, à savoir dire non.  Il est même accepté qu’ils utilisent la force physique dans les rapports sociaux.  On intègre ces attentes comportementales, ces schémas de socialisation, avant même d’en avoir conscience et d’avoir développé son esprit critique.

C’est pour cela qu’en matière sexuelle, on s’attend à ce que les femmes mettent des limites, contrôlent les pulsions masculines.  On considère comme normal que les hommes soient toujours à la recherche de conquêtes sexuelles.  Le premier «non» d’une femme à un rapport sexuel est socialement attendu, il s’agirait d’une espèce de jeu qui s’installe.  L’homme essaye autrement pour obtenir ce qu’il veut.

Si la femme porte plainte pour viol ou agression sexuelle, on reporte la faute sur elle : elle était habillée de manière provocante, elle n’a pas eu le comportement approprié, elle était consentante, si elle est allée de son plein gré dans une chambre avec plusieurs hommes, elle savait à quoi s’attendre.  Ça reflète aussi toutes les embûches auxquelles font face les victimes dans le système judiciaire où leur parole est toujours remise en question.

Comment expliquer le silence qui a entouré cette affaire pendant quatre ans?

Ce n’est pas propre à Hockey Canada.  On l’a constaté ces dernières années à l’occasion de nombreux scandales d’agressions sexuelles, les organisations sportives veulent à tout prix préserver les ap-parences, leur image de marque.  C’est leur priorité numéro un.  Dans le cas du hockey, s’ajoute une culture de privilèges accordés aux joueurs.  C’est notre sport national, et les athlètes sont vénérés et jouissent de trop de passedroits.  Il y a une espèce d’impunité qui s’établit.

Comment mettre fin à cette culture de la masculinité dont vous parlez?

On doit bien sûr parler du consentement aux joueurs de hockey, et interdire les insultes liées à la féminité sur la glace.  Mais pour résoudre le problème dans sa globalité, il faut remettre en question les attentes de genre dont je parlais avant, mettre fin à cette hiérarchie homme-femme qui mine nos rapports sociaux.  Ça passe par l’éducation dès le plus jeune âge, à l’école, à la maison, sur la glace, dans les vestiaires, partout.  On doit discuter avec les garçons de leur rapport aux filles, des attentes liées à leur sexualité.

 

 

 

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Photos

 

Dominique Trottier est professeure au département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais. (Photo : Gracieuseté)

 

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  • Date de création 7 septembre, 2022
  • Dernière mise à jour 7 septembre, 2022
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