Crise des opioïdes : les sites d’injections supervisés « sauvent des vies »

Comme le reste des provinces de l’Atlantique, l’Île-du-Prince-Édouard est touchée de plein fouet par la consommation destructrice de fentanyl. Deux spécialistes des addictions décryptent cette crise de santé publique. 

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Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

La crise des opioïdes s’aggrave à l’Île-du-Prince-Édouard. Rien que la semaine du 19 février, sept surdoses ont été signalées en 24 heures. Hawre Jalal, professeur à la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, et Didier Jutras-Aswad, psychiatre et professeur à l’Université de Montréal, reviennent sur cette explosion du nombre de surdoses due au fentanyl.  

Le fentanyl, qu’est-ce que c’est? 

Hawre Jalal : À l’origine, c’est un opioïde de synthèse fabriqué par les laboratoires pharmaceutiques. C’est un médicament que prescrivent les médecins pour soulager les patients atteints d’un cancer. 

Le fentanyl est environ cent fois plus puissant que les autres médicaments du même type, comme la morphine. Le contrôle médical est très strict, il est administré en perfusion et micro-dosage. Il n’en faut qu’une toute petite quantité pour sentir ses effets.

Le problème, c’est que le fentanyl est aujourd’hui fabriqué de manière illégale dans des laboratoires clandestins hors de tout contrôle. C’est devenu une drogue de synthèse peu onéreuse, cinquante fois plus mortelle que l’héroïne et cent fois plus que la morphine. Elle est aussi plus addictive que les produits comparables en circulation jusqu’ici.

Didier Jutras-Aswad : Cette drogue de synthèse se diffuse sous toutes les formes : liquide, en poudre, en comprimés. Parce qu’elle est bon marché, les trafiquants la mélangent aussi de plus en plus avec d’autres stupéfiants comme la cocaïne, l’héroïne ou les amphétamines. 

C’est la roulette russe pour les utilisateurs, car ils ne savent même pas qu’ils consomment du fentanyl. Sans test en laboratoire, il est impossible de savoir quelle quantité est concentrée dans un comprimé ou une poudre. 

Depuis que cet opioïde est vendu dans les rues, les autorités de santé publique observent une explosion du nombre de surdoses dans toutes les provinces. Elles ont du mal à y faire face, car ce fentanyl est extrêmement toxique.

Est-ce que la situation s’est aggravée depuis la pandémie de COVID-19? 

Hawre Jalal : La crise sanitaire, qui a causé l’isolement social et le mal-être de très nombreuses personnes, est un facteur déterminant dans le nombre exponentiel de surdoses mortelles. Avant la pandémie, environ 1 000 Canadiens mourraient de surdoses tous les trimestres, pendant la crise, ce chiffre a doublé. L’arrivée de la COVID-19 a définitivement marqué un point de rupture. 

Didier Jutras-Aswad : Si la COVID-19 a été synonyme de stress, d’anxiété et d’isolement pour l’ensemble de la population, ces maux ont été vécus encore plus difficilement par les personnes toxicomanes. Elles ont aussi eu plus de mal à accéder à des traitements et à des soins, surtout en région rurale. Il y a une combinaison explosive de la crise des opioïdes et de la crise sanitaire.

À Charlottetown, l’ouverture d’un site d’injections supervisées fait polémique depuis des mois. Comment endiguer cette crise des opioïdes?

Didier Jutras-Aswad : Le Canada est parmi les pays les plus progressistes au monde en matière d’accompagnement social et médical des consommateurs et de réduction des risques. Mais nous avons besoin de plus de sites d’injections supervisées. Ces espaces sauvent des vies. Les consommateurs ont accès à des seringues propres, du personnel soignant et des consultations anti-addiction.

Pour que l’acceptabilité sociale soit au rendez-vous, les responsables politiques doivent faire beaucoup d’éducation auprès de la population. Ils doivent également assurer un panier de services autour, avec des services d’accompagnement, des hébergements, etc. 

Nous devons aussi garantir un approvisionnement plus sécuritaire. Pour éviter que les utilisateurs achètent des produits extrêmement toxiques sur le marché non régulé, des médecins pourraient leur prescrire des opioïdes de qualité pharmaceutique. Ça se fait notamment au Nouveau-Brunswick. Mais il y a encore beaucoup de polémique entourant le sujet, car nous manquons de données robustes sur l’efficacité d’une telle mesure. 

Hawre Jalal : Il faut aussi miser sur une meilleure distribution du naloxone, un médicament qui bloque les effets d’opioïdes comme le fentanyl et empêche la surdose. C’est en vente libre dans certaines pharmacies. Tout le monde peut s’en procurer.  

 

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Photos

  • Didier Jutras-Aswad est psychiatre et professeur à l’Université de Montréal. (Photo : Gracieuseté)

 

2- Hawre Jalal est professeur à la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa. (Photo : Gracieuseté)

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  • Date de création 8 mars, 2024
  • Dernière mise à jour 8 mars, 2024
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