Contrôle des armes à feu : le gouvernement libéral change son fusil d’épaule

Le 3 février, le gouvernement libéral a annoncé le retrait de deux amendements au projet de loi C-21 sur le contrôle des armes à feu. Ces propositions avaient provoqué un émoi dans les communautés rurales et nordiques en raison de l’interdiction de certaines armes utilisées pour la chasse. Au Yukon, c’est le manque de consultation qui a dérangé.

_______________________

Laurie Trottier

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, était de passage au Yukon à la mi-janvier et il a saisi cette occasion pour s’entretenir avec plusieurs groupes de chasse du territoire. Deux semaines après sa visite, il a annoncé sur Twitter le retrait de deux amendements qui étaient au cœur des préoccupations des communautés rurales du Canada : « comme nous l’avons dit à maintes reprises, l’intention du gouvernement est de se concentrer sur les AR-15 et autres armes d’assaut, et non sur les armes couramment utilisées pour la chasse ».

Manque de consultation

L’annonce des amendements en avait surpris plus d’un·e en novembre 2022. Une liste d’armes à feu à prohiber avait été proposée au sein du Comité de la sécurité publique, auquel quelques député·e·s siègent. « Un assez grand nombre de ces armes à feu sont utilisées pour des pratiques de chasse. Il n’y a eu absolument aucune consultation lors de l’élaboration du projet de loi », soutient Eric Schroff, directeur de la Yukon Fish and Game Association (YFGA).

Brendan Hanley, député fédéral du Yukon, avait déjà annoncé qu’il n’appuierait pas le projet tel qu’il était présenté. Il affirme avoir reçu une centaine de lettres de Yukonnaises et de Yukonnais par rapport au projet de loi C-21. « La consultation n’a pas eu lieu avant les amendements, surtout auprès des Premières Nations et des associations de chasse », soutient-il.

Même son de cloche pour Eric Schroff, qui estime que ce type de législation ayant le pouvoir d’affecter un grand nombre de personnes au Canada doit être davantage débattu avant d’aller de l’avant, en plus d’une consultation approfondie au préalable. La YFGA a pu soulever ses questionnements lors du passage du ministre Marco Mendicino au territoire. « Nous avons envoyé une lettre au comité pour demander de témoigner ou de participer pour faire valoir nos points de vue et souligner la nécessité d’une plus grande consultation », ajoute Eric Schroff.

Si les deux amendements ont été retirés depuis, cela ne veut pas dire que le Comité de la sécurité publique ne proposera pas d’autres changements au projet de loi.

« Même si le projet de loi se concentre sur les nombreux impacts possibles dans les régions urbaines du Canada, il est important d’équilibrer ce qu’il essaie de réaliser et les préoccupations des Yukonnais·e·s », explique pour sa part le premier ministre du Yukon Ranj Pillai.

Solution urbaine à un problème canadien?

Selon les données de Statistique Canada, publiées en décembre 2022, le taux de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu en 2021 était de 25 % supérieur à celui de 2012. Cependant, aucune statistique ne fait la distinction entre « le type exact d’arme, son origine, le fait qu’elle ait été volée, son propriétaire (p. ex. l’auteur présumé, la victime ou une autre personne), la manière dont elle a été entreposée ou la détention d’un permis par le propriétaire », peut-on lire sur le site de Statistique Canada.

Au Yukon, c’est ce manque de nuances entre l’usage d’armes à feu légales et illégales qui perturbe les groupes de défense des droits de la chasse. « Il y a un profond manque de compréhension quant aux exigences rigoureuses pour devenir propriétaire d’une arme à feu titulaire d’un permis au Canada », explique Eric Schroff. Maya Poirier, instructrice de cours d’éducation et d’éthique de chasse au territoire, rappelle que la population yukonnaise doit entre autres passer une formation de deux jours et passer un examen avant l’obtention d’un permis de chasse.

Pour Eric Schroff, la prohibition de ces armes représente une solution facile à un problème plus grand. « C’est une bonne visibilité et c’est facile. C’est cher, mais c’est facile à faire. C’est beaucoup plus difficile de dire que nous allons aller dans de grandes villes et faire plus d’éducation sur la violence armée […] C’est beaucoup plus difficile à quantifier. »

Une question culturelle

La Première Nation de Little Salmon/Carmacks a elle aussi envoyé une lettre à Brendan Hanley affirmant que « plusieurs des armes à feu qui ont été incluses dans l’amendement au projet de loi C-21, comme SKS, GSG-15 et 16 et plusieurs autres armes semi-automatiques » sont utilisées par la communauté pour la chasse et la cueillette de subsistance.

Pour Maya Poirier, l’accès à ces armes permet aux communautés éloignées de se prémunir contre l’insécurité alimentaire : « c’est simplement la perte d’un outil utilisé dans le processus d’exercice de nos droits humains pour nous nourrir plutôt que de traiter le vrai problème, qui est le crime et les criminels qui utilisent cet outil pour blesser les autres. Les propriétaires légaux d’armes à feu ne sont pas le problème. »

Reste que plusieurs estiment que les solutions tardent à émerger dans le but de lutter contre la violence armée, et ce, autant en milieu urbain qu’en milieu rural. « La dernière année a été éprouvante au chapitre des incidents critiques impliquant la police dans le territoire. Les répercussions de ces incidents se font sentir dans les collectivités que nous servons », avait notamment souligné Scott Sheppard, commandant divisionnaire de la GRC au Yukon, en conférence de presse le 28 novembre 2022.

-30-

 

Photos

Titre : Mendicino-YFGA.jpg

Légende : Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, (troisième en partant de la droite) a pu rencontrer la Yukon Fish and Game Association lors de son passage au Yukon, à la mi-janvier, afin d’entendre leurs préoccupations concernant le projet de loi C-21.

Photo : Alexander Cohen

Titre : Cours-de-chasse.jpg

Légende : Selon plusieurs groupes de chasseurs au Yukon, le projet de loi C-21 pénalise les propriétaires légitimes d’armes à feu au pays. Maya Poirier, instructrice de cours d’éducation et d’éthique de chasse au territoire, rappelle que ceux-ci et celles-ci doivent entre autres suivre une formation de deux jours et passer un examen avant l’obtention d’un permis de chasse.

Photo : Fournie

Titre : Cours-de-chasse-2.jpg

Légende : Au Yukon, les propriétaires légitimes d’armes à feu doivent entre autres suivre une formation de deux jours et passer un examen avant l’obtention d’un permis de chasse.

Photo : Fournie

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 24 février, 2023
  • Dernière mise à jour 22 février, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article