Ceinture de verdure: la GRC fait officiellement enquête

Même s’il a promis d’annuler son plan d’échange de terres dans la ceinture de verdure, le gouvernement Ford n’est pas sorti du bois: la Gendarmerie royale du Canada (GRC) confirme qu’elle lance une enquête criminelle sur le scandale.


Par Émilie Gougeon-Pelletier, IJL - Réseau.Presse - Le Droit

La GRC a indiqué dans un communiqué que son équipe des enquêtes internationales et de nature délicate a officiellement été chargée d’enquêter sur les allégations associées à la décision du gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario d’ouvrir certaines parties de la ceinture de verdure au développement.

Habituellement, cette équipe est dédiée aux enquêtes liées aux allégations de crimes financiers, fraude, corruption, abus de confiance et de lobbying illégal.

«Nous reconnaissons que cette enquête suscite un intérêt considérable chez les Canadiens», remarque la police fédérale.

La GRC tentait de déterminer si une telle enquête était nécessaire depuis la fin août, après que la Police provinciale de l’Ontario lui ait transféré le dossier, disant vouloir éviter toute apparence de conflit d’intérêts.

«Le gouvernement coopérera»

«Le gouvernement coopérera pleinement à toute enquête», a réagi le premier ministre Doug Ford via une déclaration envoyée par son bureau, mardi.

«Nous avons une tolérance zéro pour tout acte répréhensible et nous attendons de toute personne impliquée dans la prise de décision concernant les terres de la ceinture de verdure qu’elle ait suivi la loi à la lettre.»

—  Doug Ford

Il ajoute qu’il ne fera pas de commentaires supplémentaires pour le moment, «par respect pour la police et son processus».

Le gouvernement de Doug Ford a déjà admis que le processus était «déficient», et prévoit déposer un projet de loi, la semaine prochaine, afin d’infirmer la décision.

Rappelons qu’en novembre 2022, la province avait annoncé qu’elle allait permettre le développement immobilier sur 15 parcelles de terrain de la ceinture de verdure, une zone jugée éco-sensible pourtant protégée, augmentant potentiellement leur valeur de 8,3 milliards de dollars.

Au cours de la dernière année, le gouvernement Ford a justifié cette décision en mettant l’accent sur la nécessité de construire des logements. Les échanges de terres sur la ceinture de verdure avaient pour objectif la construction de 50 000 habitations.

Son plan est toujours de bâtir 1,5 million de foyers en Ontario d’ici 2031.

Des promoteurs favorisés

Depuis, des rapports de vérificateurs provinciaux ont révélé que des promoteurs avaient été favorisés dans le processus de sélection de ces terres, et quatre membres du gouvernement (deux ministres et deux hauts fonctionnaires) ont remis leur démission.

La chef néo-démocrate Marit Stiles affirme que même si Doug Ford promet une pleine coopération avec la GRC, l’opposition officielle demeure méfiante. «À ce point-ci, c’est normal que les Ontariens se demandent s’ils peuvent faire confiance à qui que ce soit dans ce gouvernement», a-t-elle lancé en conférence de presse.

Mme Stiles espère que cette enquête permettra d’obtenir des réponses à ses nombreuses questions. «Entre-temps, je ne veux pas que le premier ministre profite de cela pour se cacher de nous et de nos questions au nom de la population de l’Ontario à l’Assemblée législative. Je veux qu’il réponde réellement à nos questions et à celles des Ontariens. [...] Je m’attends à ce qu’il soit complètement transparent avec les gens de cette province.»

Le chef libéral intérimaire John Fraser s’est réjoui, mardi, de l’annonce d’une enquête par la GRC. «Là où il y a de la fumée, il y a du feu, et nous devons comprendre pourquoi une poignée d’amis et de bailleurs de fonds du premier ministre ont été priorisés pour une manne de 8,3 milliards de dollars», a-t-il déclaré dans un communiqué.

Le député d’Ottawa-Sud doute qu’un chef de cabinet, Ryan Amato, puisse être «le cerveau de cette opération», et insiste pour que «tous les chemins mènent au bureau du premier ministre».

Le chef du Parti vert s’est lui aussi dit heureux de la décision de la GRC de mener son enquête «sur le processus de corruption qui a permis à quelques spéculateurs fonciers riches et bien connectés d’encaisser 8,3 milliards de dollars sur la ceinture de verdure de l’Ontario».

Les partis d’opposition à Queen’s Park demandent une enquête publique sur le scandale de la ceinture de verdure.

Les élus de la province sont dans leurs circonscriptions respectives, cette semaine, et seront de retour à l’Assemblée législative la semaine prochaine.

En rappel

  • En 2005, l’Ontario crée la ceinture de verdure, entourant Toronto, pour protéger des terres écosensibles en les épargnant du développement immobilier et de l’étalement urbain.
  • En 2018, Doug Ford et le Parti progressiste-conservateur assurent qu’ils ne toucheront jamais à ces terres.
  • Le 25 octobre 2022, le gouvernement Ford annonce son plan de construire 1,5 million de logements d’ici 2031.
  • Le 4 novembre 2022, le gouvernement Ford annonce son plan de retirer 7400 acres de la ceinture de verdure, soit 15 parcelles, pour y construire 50 000 logements. Il promet d’ajouter 9400 acres à la ceinture de verdure dans d’autres endroits.
  • Le 9 août 2023, la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, publie son rapport sur les échanges de terres dans la ceinture de verdure. Elle pointe du doigt Ryan Amato, chef de cabinet du ministre des Affaires municipales et du Logement Steve Clark, sans le nommer, comme étant une personne influente dans le processus de sélection des sites à retirer de la ceinture de verdure. L’accès à ce chef de cabinet a permis à certains promoteurs de bénéficier d’un «traitement préférentiel», a conclu Bonnie Lysyk.
  • Le 22 août 2023, Ryan Amato remet sa démission. Doug Ford avait refusé de le démettre de ses fonctions.
  • Le 30 août 2023, le commissaire à l’intégrité de l’Ontario, David Wake, conclut dans un rapport que le ministre des Affaires municipales et du Logement, Steve Clark, a contrevenu à la Loi sur l’intégrité des députés, car il a «omis» de superviser le processus de sélection des terrains de la ceinture de verdure. Il recommande à l’Assemblée législative de l’Ontario «de réprimander le ministre Clark pour son non-respect de la Loi».
  • Le 31 août 2023, le ministre Clark s’excuse, mais refuse de démissionner. Doug Ford défend son ministre et refuse de le démettre de ses fonctions.
  • Le 4 septembre 2023, Steve Clark démissionne de son poste de ministre, et demeure député progressiste-conservateur de Leeds-Grenville-Thousand Islands et Rideau Lakes.
  • La journée même, Doug Ford est forcé d’effectuer un remaniement ministériel. Il choisit Paul Calandra pour remplacer M. Clark au ministère des Affaires municipales et du Logement.
  • Le 20 septembre 2023, Kaleed Rasheed démissionne de son poste de ministre des Services au public et aux entreprises et du caucus progressiste-conservateur. Il est critiqué pour avoir donné des informations contradictoires au commissaire à l’intégrité à propos d’un voyage à Las Vegas en compagnie d’un promoteur immobilier lié à la ceinture de verdure.
  • Le 21 septembre 2023, le commissaire à l’intégrité David Wake publie un rapport dans lequel il épargne le premier ministre Doug Ford d’une enquête visant à déterminer s’il a enfreint la Loi sur l’intégrité des députés. Le commissaire juge qu’il n’y a pas de «motifs suffisants» pour mener une enquête.
  • Le 21 septembre 2023, fait volte-face et annonce l’annulation les changements dans la ceinture de verdure.
  • Le 10 octobre 2023, la GRC annonce l’ouverture d’une enquête criminelle sur le scandale de la ceinture de verdure. C’est l’équipe des enquêtes internationales et de nature délicate qui se penchera sur le dossier.
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  • Date de création 10 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 octobre, 2023
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