Ça va mal à Montfort

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

La crise qui touche le système de santé de l’Ontario n’épargne pas l’Hôpital Montfort.

Depuis quelques semaines, des ambulances sont stationnées à l’extérieur de l’hôpital universitaire francophone pendant de nombreuses heures avant de pouvoir reprendre la route à la rescousse des résidents de la région d’Ottawa et de l’Est ontarien.

Quand un patient est transporté à l’hôpital par ambulance, le technicien ambulancier paramédical doit rester à ses côtés jusqu’à ce qu’un lit dans l’établissement de santé se libère. 

« Nos temps d’attente pour débarquer les patients des civières sont devenus ridicules, c’est le pire que j’ai vu. »

Un paramédic

Ces jours-ci, les paramédics perdent des heures précieuses à attendre pour ces lits à l’hôpital Montfort, a raconté l’un d’entre eux au Droit, sous le couvert de l’anonymat.

«J’ai amené une patiente à Montfort, récemment, et il n’y avait même pas de chaise, pas une seule, où elle pouvait s’asseoir dans la salle d’attente.»

Ce professionnel de la santé dit qu’il n’avait jamais été confronté à des temps d’attente aussi longs à l’hôpital Montfort que ce qu’il a constaté depuis les deux dernières semaines.

«Nos temps d’attente pour débarquer les patients des civières sont devenus ridicules, c’est le pire que j’ai vu. Je n’ai jamais attendu autant auparavant. [...] On a déjà vu de telles situations aux campus Civic et Général de l’Hôpital d’Ottawa, au cours des années passées, mais à Montfort, ça n’a jamais été comme ça.»

Selon l’Association des hôpitaux de l’Ontario (OHA), les temps de déchargement des ambulances, soit le temps qu’il faut à un hôpital pour prendre en charge un patient amené par les ambulanciers paramédicaux, sont au plus haut niveau depuis 12 ans.

À l’urgence

L’OHA affirme aussi que, mis à part le mois de janvier 2022, le temps que passent les patients dans les salles d’urgence est à son plus haut niveau depuis 14 ans. 

Les temps d’attente aux urgences atteignent actuellement des sommets historiques dans de nombreux hôpitaux de la province, et Ottawa compte parmi les plus longs temps d’attente observés en Ontario.

Avant qu’un patient puisse être vu par un médecin, il doit attendre 2,1 heures à l’urgence, en moyenne, selon Qualité des services de santé Ontario (QSSO). 

Cet organisme évalue actuellement à 3,7 heures l’attente moyenne pour les patients du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO), à 3,6 heures pour ceux de l’Hôpital d’Ottawa et à 3,4 heures pour les patients de l’Hôpital Queensway Carleton.

Mercredi, le temps d’attente à l’Hôpital Montfort vacillait autour des 4 heures, et jeudi, il s’élevait à 9 heures, selon l’outil en ligne récemment rendu disponible par l’établissement. 

Un niveau élevé de visites à l’urgence a été enregistré depuis la dernière année, «alors que l'hôpital doit faire face à une pénurie de personnel soignant et d’urgentologues, ainsi qu'à un manque de lits disponibles en raison de l'augmentation du nombre de patients en attente d'un autre niveau de soins», confirme le vice-président intérimaire des Services cliniques à l’Hôpital Montfort, François Lemaire.

«En conséquence, les visiteurs de l'urgence attendent plus longtemps avant d'être évalués et admis, et le personnel subit des abus de la part de patients et de familles qui sentent de la frustration», déplore-t-il.

Renforts

«Notre équipe fait tout en son possible pour ne pas réduire les services à l’urgence – ce que certaines urgences en Ontario ont dû faire. Toute personne qui se présente à l'urgence sera vue par un médecin en fonction de l'urgence de ses symptômes. Mais soyez prêts à attendre, et soyez gentils avec le personnel», insiste François Lemaire.

Selon nos informations, l’hôpital universitaire francophone est tellement désespéré qu’en vue de ce week-end, il offre aux infirmières des compensations financières inégalées - rémunération à taux double pour l’entièreté d’un quart de travail «de garde», les frais de transport et les repas payés - pour les convaincre d’accepter de travailler des heures supplémentaires à l’urgence. 

Dans la salle d’urgence de l’Hôpital Montfort, des infirmières provenant d’autres départements sont appelées en renfort de façon sporadique depuis le début de la pandémie.

Mais ces jours-ci, même leur appui ne semble pas être suffisant. «C’est comme mettre un Band-Aid sur un vaisseau qui saigne depuis plusieurs mois», souligne une infirmière auxiliaire qui a accepté de se confier au Droit sous le couvert de l’anonymat, par crainte de représailles.

Andréa*, qui fait partie de ces infirmières auxiliaires provenant d’autres départements et qui ont récemment été appelées en renfort à la salle d’urgence, accorde qu’il s’agit d’une solution qui peut aider de façon temporaire, mais qui n’est pas à toute épreuve.

«Certaines d’entre nous sommes dans des départements différents parce que, justement, l’urgence, c’était trop pour nous. On se fait remettre dans des situations qu’on ne voulait plus avoir à subir.»

L’infirmière auxiliaire note par ailleurs que certains professionnels de la santé qui sont appelés à travailler à l’urgence de façon récurrente sont en formation et doivent constamment interrompre leurs apprentissages.

À quand une vraie solution?

La solution semble pourtant si simple: ajouter du personnel. 

Le problème, c’est que tous les hôpitaux de l’Ontario sont aux prises avec le même fléau - la pénurie de main-d'œuvre - et la province tarde à accroître le bassin de personnel. 

Le ministère de la Santé de l’Ontario assure avoir lancé «la plus grande initiative de recrutement et de formation en santé de toute l’histoire de la province», y compris en tentant d’accélérer l’embauche de travailleurs internationaux.

Mais sur le terrain, la crise s’accentue de façon exponentielle, jour après jour.

L’Association des infirmières et des infirmiers de l’Ontario (AIIO) estime que la province a besoin de 30 000 infirmières autorisées pour atteindre le ratio «d’infirmières par habitant» des autres provinces.

Départs

Les professionnels de la santé de partout au pays sont confrontés, depuis maintenant plusieurs années, à l’affaiblissement du système. Les conséquences se font énormément ressentir sur leur santé physique et mentale.

Au Canada, on compte plus de 50% des infirmières qui affirment que leur santé mentale s’est détériorée par rapport à ce qu’elle était avant la pandémie de COVID-19, selon Satistique Canada. 

En juin, StatCan a signalé un nombre record de postes vacants dans le secteur de la santé. On comptait 136 800 emplois non comblés au premier trimestre de 2022, ce qui représente près de 91% de plus qu’à pareille date, en 2020. 

Autour d’Andréa, les démissions et les départs sont courants. Elle compte au moins deux collègues qui prévoient quitter leur emploi à l’urgence pour offrir leurs services dans un autre département ou dans un autre établissement de santé. 

«Ils quittent pour les mêmes raisons que moi, quand j'ai quitté, se disant que ça fait assez longtemps qu’ils sont à l’urgence, et qu'ils sont tannés. Ils veulent une pause, ils ont besoin de quelque chose de nouveau.»

Partout à Ottawa, «ce sont des centaines de postes qui n’arrivent pas à être comblés», souligne le vice-président intérimaire des Services cliniques, et ajoute que pour Montfort, la tâche de recrutement est encore plus périlleuse. 

«Nous savons qu’à Montfort, nous avons la complexité de rechercher des candidats qualifiés ET bilingues». 

À Ottawa, les travailleurs de la santé ont aussi dû composer avec des stress additionnels, comme la présence d’individus dans la capitale fédérale, au mois de février dernier, venus pour s’opposer aux mesures de santé publique liées à la COVID-19.

Le Droit avait appris que plusieurs employés de l’hôpital Montfort devaient passer de nombreuses heures sur la route pour se rendre au travail lors de l’occupation du centre-ville par les membres du «Convoi de la liberté», forçant leurs collègues à prolonger leur quart de travail.

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  • Date de création 15 juillet, 2022
  • Dernière mise à jour 15 juillet, 2022
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