«Beaucoup d’emplois vont être encore perdus»
Les impacts de la pandémie de COVID-19 sur l’économie de l’Île-du-Prince-Édouard ne sont pas encore tous connus. Jim Sentance, professeur d’économie à l’Université de l’Î.-P.É., fait le point sur la situation et prévient que le pire est peut-être devant nous.
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Propos recueillis par Laurent Rigaux
Initiative de journalisme local – APF – Atlantique
À l’échelle du Canada, plus de trois millions d’emplois ont été perdus depuis le début de la crise économique liée à la COVID-19, selon les statistiques fédérales. Toutes les provinces sont touchées par cette baisse, au premier rang desquels le Québec. Le nombre total de chômeurs a augmenté de 1 285 000 personnes entre février et avril, soit une hausse de 113,3 %.
L’Î.-P-.É. ne s’en sort pas si mal. Le taux de chômage en avril dernier y était le plus faible parmi les provinces du Canada, à 8,4 % contre 13 % en moyenne au pays. La pandémie aurait-elle moins d’impact ici qu’ailleurs? Nous avons posé la question - et quelques autres - à Jim Sentance, professeur d’économie à UPEI.
Comment expliquer que l’Île s’en sorte mieux que les autres provinces?
Déjà, il n’y a aucun malade à l’Île, et le nombre de cas positif est resté faible. Le nombre d’entreprises qui fonctionnent est peut-être plus élevé qu’ailleurs. Pour le moment, ce sont les secteurs du commerce et de l’hôtellerie qui sont les plus touchés : les restaurants et les bars ont été frappés très durement, même s’ils trouvent des solutions comme la vente à emporter. Les commerces alimentaires et d’outillage sont restés ouverts, mais il y a eu des baisses de vente là aussi. Le secteur touristique va prendre un coup. Il y a déjà un impact dans les hôtels, les B&B, et ça va être encore plus dur.
Est-ce que ça signifie que le plus gros impact est encore à venir?
Oui. L’emploi est très saisonnier, il est censé augmenter dans les prochains mois (si nous étions dans une année normale). Cela ne va pas arriver, et beaucoup d’emplois vont être encore perdus.
Le gouvernement, dans sa mise à jour économique publiée début avril, prévoyait un retour à la normale en juin au niveau de l’emploi…
C’est ridiculement optimiste. J’imagine qu’il y aura un petit rebond, quand les restaurants et les petits commerces vont rouvrir. Mais il n’y aura aucune saison touristique cette année. On parle de tourisme local, de faire une bulle avec le Nouveau-Brunswick, mais il y aura quand même beaucoup moins de touristes qu’en temps normal. Une autre grosse interrogation, c’est la venue des paquebots. Je ne pense pas que des navires débarqueront ici cette année [Dennis King a laissé entendre la même chose le 15 mai].
À quoi faut-il s’attendre dans les mois à venir ?
Cela va dépendre de l’évolution de la pandémie. La vision optimiste, c’est qu’elle sera maîtrisée et qu’on aura une activité économique plus normale. L’enjeu, c’est ce qui va arriver aux travailleurs saisonniers qui n’auront pas de travail cet été. Des milliers de gens comptent sur l’assurance emploi une fois la saison terminée, mais là, ils ne pourront pas y prétendre, sauf si les critères sont modifiés par le gouvernement fédéral [dans le cas où la Prestation canadienne d’urgence s’arrête]. Je pense qu’un certain nombre d’entreprises vont faire faillite. On ne leur donne pas l’argent, elles ont contracté des prêts auprès des autorités. Les petites compagnies ont peu de marges.
Le premier ministre Dennis King a récemment appelé Ottawa à revoir la Prestation canadienne d’urgence, qui, selon lui, n’inciterait pas les Insulaires à retourner au travail, notamment pour les emplois les moins bien payés.
C’est un débat sans intérêt. Si les gens ne vont pas travailler, c’est qu’il n’y a pas d’emploi pour eux en ce moment. Quand le temps sera venu, les gens retourneront au travail, parce que l’aide d’urgence ne durera pas pour toujours. Les Insulaires ont une éthique de travail élevée, le taux d’activité est haut. Je ne m’inquiète pas pour ça.
Le gouvernement provincial a déployé beaucoup de programmes d’aide. Pensez-vous que cela aura un impact sur les finances de l’Île?
Non, les finances sont bonnes. À l’est des Prairies, l’Île est certainement l’une des provinces avec la meilleure santé économique, elle peut se permettre d’accroître un peu sa dette, qui reste constante en pourcentage du PIB.
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PHOTO : (incluant titre de la photo, légende et crédit du photographe ou courtoisie)
Jim Sentance, professeur d’économie à UPEI : «Je pense qu’un certain nombre d’entreprises vont faire faillite. Le secteur touristique va prendre un coup.»
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- Date de création 15 mai, 2020
- Dernière mise à jour 15 mai, 2020