Avoir peur de son accent franco

Il vous est peut-être déjà arrivé, dans une situation plus formelle, de craindre votre manière de parler. D’avoir peur de la réception de votre accent francophone ou de certaines expressions. Cette «insécurité linguistique» est surtout répandue dans la francophonie. La sociolinguiste acadienne Annette Boudreau explore le phénomène dans son plus récent livre Insécurité linguistique dans la francophonie.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Entre amis, l’accent et les expressions se la coulent douce. Au moment de prendre la parole en public dans un contexte plus formel, un certain malaise peut s’installer, dit-elle.

«On a peur que notre français ne corresponde pas à ce qui est attendu par les gens qui nous écoutent. On craint de se tromper et de ne pas être perçu comme un vrai franco», explique Annette Boudreau.

La professeure émérite de l’Université de Moncton mène des recherches sur ce phénomène depuis 30 ans. C’est après un passage au balado de OHdio Parler mal, que Les Presses de l’Université d’Ottawa l’ont contacté pour écrire un livre sur ce phénomène. Dans cet ouvrage concis d’une soixantaine de pages, Mme Boudreau retrace l’historique du concept, son contexte au Canada et des moyens de combattre cette insécurité.

Elle remarque que ce phénomène est davantage présent dans les régions en périphéries des grands centres. Comme son Acadie natale, et bien sûr, la francophonie ontarienne.

Ce concept est plus accentué dans la francophonie, remarque-t-elle.

«Dans les milieux anglophones, on accepte beaucoup plus les différentes façons de parler. Quand je vais à New York, on ne m’a jamais demandé d’où je venais, contrairement à la France. La norme est beaucoup plus forte en français», dit Annette Boudreau.

Cette insécurité se vit de la même manière dans la francophonie, peu importe l’origine.

«En enseignant, je me suis rendu compte qu’il y avait des étudiants qui étaient très compétents dans leur manière d’écrire et de s’exprimer, mais qui ne prenait jamais la parole en cours, raconte la professeure à la retraite. J’ai découvert qu’il n’existait pas de lien entre la compétence et la prise de parole.»

Au même moment, des chercheurs belges s’intéressent au phénomène de l’insécurité linguistique, eux qui la vivent en présence des Français.

Mettre un mot sur le phénomène

L’autrice se réjouit que le terme «insécurité linguistique» prenne de plus en plus d’ampleur.

«Quand on peut mettre des mots sur un phénomène, on peut commencer à s’en libérer, explique-t-elle. C’est comme pour le harcèlement.»

Pour manifester cette inquiétude, il faut d’abord être conscient d’une certaine forme de norme. Norme qui est souvent représentée par les journalistes, les artistes et les intellectuels. Les médias sont d’ailleurs trop alarmants par rapport à la situation du français au pays, selon elle.

«Il faut se concentrer sur le nombre de personnes qui peuvent tenir une conversation en français et non sur les statistiques de langue maternelle, mentionne-t-elle. C’est sûr qu’il faut s’assurer que la langue demeure vivante, mais le discours alarmiste n’incite personne à apprendre la langue. Ça devient décourageant pour les personnes immigrantes.»

Vanter son accent

Dans les dernières années, la professeure Boudreau est ravie d’observer une plus grande acceptation des accents de tout un chacun.

«J’ai mon accent, tu as le tien, tranche-t-elle. Les gens mettent plus en valeur leur accent et leur manière de parler. Je pense à des artistes du Nouveau-Brunswick comme Radio Radio et Lisa Leblanc qui en font leur marque de commerce.»

«Ce n’est pas tout le monde qui peut se le permettre, poursuit-elle. Ça dépend d’où on travaille et dans quelle situation.»

Entre personnes d’une même communauté, on ne parle quasiment pas d’insécurité linguistique, même dans une situation formelle, poursuit-elle. L’accent ne sera pas perçu de la même manière dans une soirée avec une bande de Franco-Ontariens qu’à un gala réunissant Québécois, Français et Franco-Ontariens par exemple.

En cas d’insécurité linguistique, Mme Boudreau suggère tout d’abord d’accepter la variation de la langue et notre accent.

«Ça ne veut pas dire qu’on peut parler comme on veut dans toutes les situations, nuance-t-elle. Il faut enrichir son français de toutes les manières possibles. Il est mieux d’ajouter à son vocabulaire que de le remplacer.»

Il faut cependant éviter de reprendre les gens sur leur manière de parler.

«Ça attaque l’identité de la personne, insiste-t-elle. Surtout pour les francophones, pour qui la langue fait partie de leur identité.»

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Photos

La sociolinguiste acadienne Annette Boudreau lance son dernier livre Insécurité linguistique dans la francophonie. (Simon Séguin-Bertrand/Le Droit)

L'anglicisme est l'erreur la plus critiquée chez les francophones, rapporte Annette Boudreau. (Simon Séguin-Bertrand/Le Droit)

La langue joue un rôle primordial dans les relations humaines, rappelle Annette Boudreau. (Simon Séguin-Bertrand/Le Droit)

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  • Date de création 27 février, 2024
  • Dernière mise à jour 27 février, 2024
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