Apprendre à vivre avec les pissenlits

Chaque printemps, c’est le grand retour des pissenlits. Leur jaune inonde les paysages insulaires. Mal-aimés des jardiniers, ils ont su s’adapter aux tondeuses et aux herbicides. Un biologiste appelle à tolérer une plante inoffensive, utile aux insectes pollinisateurs. 

 

 

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Marine Ernoult – IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne 

 

 

Avec l’arrivée du printemps, les pissenlits feront bientôt leur apparition dans les champs et pelouses de l’Île-du-Prince-Édouard.  

Les fleurs jaunes, omniprésentes dans le paysage, ont débarqué à l’est du Canada avec les premiers colons européens au début du 17e siècle. La plante, adepte des milieux ouverts, s’est propagée au fur et à mesure du défrichage des forêts, transformées en champs pour l’agriculture.  

«On ne sait pas exactement quand et comment ils sont arrivés chez nous, mais ils se sont rapidement adaptés à leur nouvel environnement», observe Claude Lavoie, biologiste à l’Université Laval et auteur de l’ouvrage Pissenlit contre pelouse : une histoire d’amour, de haine et de tondeuse.  

Selon certaines hypothèses, les pissenlits ont été introduits accidentellement sur le continent nord-américain, dissimulés dans des paillasses ou du fourrage dans les cales des bateaux qui traversaient l’océan Atlantique.  

Les premiers colons ont également pu en ramener volontairement avec eux, car le pissenlit était consommé en Europe. 

Pissenlits contre tondeuses  

Quelle que soit son origine, le pissenlit s’est désormais taillé une place de choix sur l’île. La plante compte parmi les espèces capables de se reproduire par une forme spécifique de parthénogenèse.  

Les individus qui peuplent un pré sont ainsi génétiquement identiques ou presque : comme s’il s’agissait du même individu, incarné par plusieurs corps. Du clonage en somme. 

«Il n’y a pas beaucoup de choses plus envahissantes que les pissenlits, ils profitent de nos pelouses très bien entretenues, arrosées et fertilisées, pour proliférer», commente Claude Lavoie.   

Le biologiste insiste néanmoins sur leur caractère complètement inoffensif : «Ils ne sont pas nuisibles, ils heurtent seulement notre conception sociale de la pelouse parfaite et manucurée avec une seule espèce de gazon vert foncé.» 

Depuis des décennies, les jardiniers amateurs se battent ainsi contre la fleur mal-aimée, tentant à coup d’herbicide et de tondeuse de la faire disparaître. Mais l’intrus s’est montré plus intelligent et a su s’adapter.  

«Les pissenlits ont réduit la taille de leur tige pour passer sous les lames des tondeuses, certains ont aussi développé des résistances aux herbicides», révèle Claude Lavoie.  

Si l’envie prend à un jardinier de déterrer un pissenlit, ses racines risquent de se rompre et de faire des bourgeons, ce qui contribuera à la multiplication de l’espèce. 

«Combat quasiment impossible à gagner» 

«C’est pour cela qu’on a tant de mal à s’en débarrasser, ils reviennent toujours. C’est un combat perpétuel quasiment impossible à gagner, il vaut mieux les accepter, insiste Claude Lavoie. Surtout que leur pollen n’est pas allergène, c’est un mythe persistant.» 

Le pissenlit peut d’ailleurs se révéler très utile. Il est mangé depuis des siècles, peut-être même depuis l’Antiquité. Ses feuilles sont consommées en salade, surtout lorsqu’elles sont jeunes et moins amères. Ses racines et ses fleurs sont également comestibles.  

On fabrique également du vin et de la bière à base de pissenlit, en faisant notamment fermenter des fleurs dans de l’eau à laquelle on ajoute du sucre, du jus de citron, du jus d’orange, des raisins et de la levure.  

«Ces boissons font un retour en force ces dernières années», assure Claude Lavoie.  

Au tout début du printemps, lorsqu’aucune autre plante n’est disponible, le nectar des pissenlits est également essentiel aux insectes pollinisateurs. Depuis des années, les apiculteurs de l’Î.-P.-É. demandent à la population de les laisser pousser sur leurs pelouses pour que les abeilles puissent butiner. 

Avec le mouvement No mow May, qui décourage les gens de tondre en mai, Claude Lavoie assure que les mentalités sont doucement en train de changer.   

 

 

 

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Photos 

 

1- Claude Lavoie est biologiste à l’Université Laval et auteur du livre «Pissenlit contre pelouse : une histoire d’amour, de haine et de tondeuse».  (Photo : Gracieuseté) 

 

2- Chaque printemps, les pissenlits réapparaissent dans les champs et pelouses de l’Île-du-Prince-Édouard.  (Photo : Marine Ernoult) 

 

 

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  • Date de création 25 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 25 avril, 2024
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