Appréhender les addictions sous un nouvel angle

Durant la campagne électorale, la criminalité, la santé ou encore le coût de la vie ont été au cœur des débats. Pourtant, le gouvernement nouvellement élu devrait commencer par s’occuper des personnes qui vivent avec des dépendances. C’est en tout cas ce que suggère Ginette Poulin, médecin spécialisée dans les addictions.

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Ophélie Doireau

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Durant les sept dernières années du gouvernement progressiste-conservateur, c’est un discours très moralisateur qui a été tenu à l’encontre des personnes qui vivent avec des dépendances. D’ailleurs, la question d’ouvrir des sites de consommation supervisée a souvent été amenée par des groupes militants, et le gouvernement progressiste-conservateur s’est longtemps opposé à cette idée. La raison étant que les personnes devraient être redirigées vers des services de traitement et de rétablissement. Le Manitoba est l’une des seules provinces à ne pas avoir de site de consommation supervisée au Canada.

Ginette Poulin, médecin spécialisée dans les addictions, estime que le système actuel n’est pas suffisant pour aider les personnes qui vivent avec des dépendances. « Pour la santé publique manitobaine, il y a vraiment un focus un peu plus fort sur la réduction des méfaits, c’est-à-dire la distribution de trousses de naloxone. Ce n’est pas assez.

« Je pense qu’il faut qu’on augmente nos services. Quand je dis les services, c’est toute une gamme d’options, c’est-à-dire plus d’options du côté des réductions des méfaits, plus de traitement, plus de prévention, plus de services pour les familles, plus d’efforts pour augmenter le nombre d’endroits sécuritaires pour les personnes qui sont dans la rue. On a besoin de services en santé mentale pour les gens qui cohabitent avec ceci. Souvent, les personnes se présentent à l’urgence; et en ce moment, s’ils ont une surdose, ils sont remis dans le système, avec aucune aide. Donc on a besoin de gérer comment les gens naviguent à travers le système, pour les aider. Nous ne sommes pas arrivés au niveau de services qui corresponde aux besoins existants. »

| Des modèles à suivre

Avec ce triste constat, Ginette Poulin explore des modèles de pays qui ont réussi à diminuer leurs taux d’addictions. La médecin pense particulièrement au Portugal. « Le Portugal a beaucoup misé sur des programmes de proximité. L’idée était de vraiment amener les soins directement aux gens qui sont dans la rue, au lieu de les criminaliser et de les envoyer en prison. En parallèle de cette décriminalisation, le Portugal a aussi augmenté les services de traitement dans le système de santé. »

Et par décriminalisation, Ginette Poulin se veut précise et souhaite déconstruire les préjugés sur cette question. « Il ne s’agit pas juste de décriminaliser. Il faut augmenter les soins et les services. Il faut changer le système pour qu’il y ait des liens entre tous les acteurs. Les organismes ne peuvent pas régler cette question seuls dans leur coin. Il faut regarder la partie judiciaire, la partie sociale et la partie santé. »

La Colombie-Britannique a d’ailleurs adopté un projet pilote en mai 2022 pour que les petites quantités de drogues dures ne soient plus considérées comme une infraction criminelle. Le projet pilote doit s’étendre du 31 janvier 2023 au 31 janvier 2026.

L’idée derrière ce projet de décriminalisation est aussi de donner une chance aux gens de s’en sortir, comme l’explique Ginette Poulin. « La criminalisation défavorise des populations qui sont déjà plus défavorisées dans le système. C’est-à-dire soit d’une ethnie différente, soit des gens qui vivent déjà dans la pauvreté. Donc je pense que l’on doit apprendre des exemples, mais aussi regarder de façon plus profonde. » Ginette Poulin est donc pour une décriminalisation des drogues dures qui s’accompagne d’investissements significatifs par les différents acteurs, dans un esprit de collaboration. « Chaque personne morte par surdose est une perte pour la société. »

| Un problème grandissant

Outre le nombre de décès, Ginette Poulin pointe les différents coûts que peuvent représenter l’absence de prise en charge adéquate d’une personne qui vit avec des dépendances.

« On voit beaucoup plus d’hospitalisations pour des conséquences d’utilisation. On voit des augmentations d’infections sexuellement transmissibles par voie sanguine. Le Manitoba fait d’ailleurs tristement la Une des manchettes pour cette raison. »

De plus, Ginette Poulin remarque que les produits disponibles dans la rue deviennent de plus en plus toxiques.

« Je pense au fentanyl. La toxicité est bien supérieure qu’il y a dix ans. En fait, il y a une augmentation des produits toxiques dans toutes les drogues; même le cannabis qui est vendu dans la rue est bien plus concentré en THC qu’il pouvait l’être il y a quelques années. C’est vraiment très dangereux, et c’est pour ces raisons qu’il faut des politiques plus fortes pour venir en aide aux personnes qui vivent avec des dépendances. »

Il est donc clair pour Ginette Poulin que « si on n’améliore pas les services maintenant, on va manquer le bateau. J’encourage les politiciens de vraiment mettre à part leurs idées personnelles, leurs cultures, leurs religions, tout ceci pour essayer d’être vraiment ouverts d’esprit, de regarder ce problème très complexe de façon différente, d’être ouverts à des solutions et des partenariats pour changer ce qu’on fait aujourd’hui et qui ne fonctionne pas. »

 

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Photos : 

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  • Date de création 6 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 6 octobre, 2023
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