Antonine Maillet : "C'est la Sagouine qui m'a faite"

La romancière nonagénaire a toujours une vivacité d’esprit qui la rend capable de prononcer de longs discours sans la moindre note. L’invitée d’honneur des cérémonies organisées pour le trentième anniversaire du site touristique, créé en 1992 autour de l’univers de son héroïne emblématique, y a livré son testament et ses souvenirs.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

  

« L’Acadie s’est cherché un pays pendant quatre siècles. Vous n’avez pas idée de ce que représente un Pays comme celui-ci. J’en pleure, j’en ris, mais surtout je m’en émerveille », a lancé Antonine Maillet aux convives présents dans l’enceinte du restaurant Viola-Léger pour fêter les trente ans de son pays imaginaire.

Avec un brin de malice, la dramaturge, qui a sa résidence habituelle à Montréal, a indiqué qu’elle ne se privait pas de rappeler aux Québécois que les Acadiens furent, quatre ans avant eux, le premier peuple européen à s’installer en Amérique du Nord. Elle ne reproche pas non plus aux Anglais d’avoir conquis l’Acadie. « Après tout, nous avons fait la même chose avec les peuples autochtones ».

L’ancienne élève de Mère Jeanne de Valois et de Mère Dorothée au Collège Notre-Dame-d’Acadie à Moncton, « les deux meilleures éducatrices que j’aie connues », s’est quelque peu excusée de résider dans la métropole québécoise. Des théâtres aux musées, elle y a pris avantage de tout ce que Montréal pouvait lui offrir pour apprendre son métier d’écrivain. Il y a pourtant une autre raison qui lui est propre, et qu’elle partage avec certains auteurs.

« Je n’aurais pas pu écrire la Sagouine ici, elle était trop proche. J’avais besoin de la distance, d’abord pour me donner la nostalgie, et ensuite la perspective. Aucun de mes personnages ne pouvait naître à Bouctouche. Il fallait que je m’en éloigne pour vraiment les découvrir », a-t-elle révélé.

Rabelais, Molière et Maillet

Avec modestie, Antonine Maillet a rendu un vibrant hommage à ces femmes du peuple qui, toutes, ont nourri sa formidable imagination pour donner vie à la Sagouine. Des femmes qui, sans le savoir, citaient François Rabelais, le célèbre auteur français de la Renaissance. Les Acadiens sont les héritiers du créateur de Gargantua et de Pantagruel. Ils ont conservé, en les nourrissant et en les enrichissant, les mots et les expressions que celui-ci employait. Le vocabulaire de la Sagouine en est rempli.

L’éditeur d’Antonine Maillet, Pierre Filion, a salué sa détermination, sa jeunesse d’esprit et sa discipline de travail. Pour écrire des milliers de pages, dit-il, il faut y consacrer sa vie et donner le meilleur de soi-même. L’autrice, qui vient de produire son « testament littéraire » et n’a pas eu de descendance directe, a engendré une colossale progéniture qui a porté, haut et fort, la voix acadienne en français.

« Une voix nouvelle qui, à travers une langue ancienne, projetait sa sagesse et son humanisme universel, a déclaré M. Filion. Cette langue qu’on appelle si familièrement la langue de Molière, à partir d’aujourd’hui, on peut aussi l’appeler la langue de Maillet. »

Une langue de Maillet fait beaucoup de bien aux enfants du Pays, comme Solange LeBlanc. La jeune trentenaire, interprète du personnage de Joséphine, est née quelques mois avant le Pays de la Sagouine, qu’elle appelle son « premier amour ». Mme LeBlanc, qui en est à sa quinzième saison sur l’Île-aux-Puces, a raconté comment le Pays de la Sagouine avait pansé les plaies de l’insécurité linguistique qu’elle ressentait sur les bancs de l’école.

« J’ai ici un fort sentiment d’appartenance. On y parle ma langue, avec mon accent et avec mes mots. Ils sont là pour me rappeler d’où je viens et qui je suis. Le Pays de la Sagouine est une voix pour le peuple acadien, mais aussi pour tous les francophones du monde qui ont besoin d’une petite touche de chez eux », estime Solange LeBlanc.

Antonine Maillet, qui a nourri l’imagination de la jeune Solange, confie qu’elle a beaucoup de souvenirs de sa petite enfance. Son premier souvenir marquant remonte à ses trois ans, lorsque sa voisine Alice, que plus tard elle appela « Alice au pays des merveilles », lui lit l’histoire des trois ours. Blonde et bouclée comme l’héroïne du conte, la petite Tonine est devenue le personnage de Boucle d’or. En prévision de ses quatre ans, elle voulait quatre ours !

« C’est là que j’ai commencé à rêver d’écriture, de contes et de création. J’ai écrit la Sagouine parce que la Sagouine m’a écrite. Ce n’est pas moi qui l’ai faite, c’est elle qui m’a faite. Je la sentais en moi. »

Que l’on se rassure. Un demi-siècle après le début de cette formidable épopée littéraire, aux dires de son éditeur, Antonine Maillet n’a pas encore écrit son dernier mot.

 

 

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Photos

 

Titre : Antonine

Légende : D’une formidable jeunesse et vivacité d’esprit, la grande romancière acadienne a retrouvé « son pays » sur l’Île-aux-Puces.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

 

Titre : Forlaqueries
Légende : Pour la première fois, le truculent Citrouille (Luc LeBlanc) a figuré dans Les Forlaqueries.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

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  • Date de création 27 juillet, 2022
  • Dernière mise à jour 27 juillet, 2022
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