Accepter la langue des autres, c’est un geste d’amour

Sécurité linguistique. Insécurité linguistique. Sécurité linguistique. Difficile de parler d’un sans parler de l’autre. Pour comprendre davantage les enjeux liés à l’insécurité linguistique, Mélissa Comeau fait part de son point de vue sur la diversité langagière en Acadie. 

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Jean-Philippe Giroux

IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

« Quand j'y pense, je me rends compte que la sécurité linguistique, c’est une nouvelle expression pour moi depuis assez récemment, avoue Mélissa Comeau. La majorité de ma vie, je ne me suis généralement pas sentie en sécurité à moins de parler avec quelqu'un dans mon dialecte de chez nous. Je n'avais pas réalisé à quel point je me sentais mal à l'aise et à quel point je fournissais des efforts pour un échange en français, bien que j'aie grandi dans une communauté entièrement francophone, que je sois allé à l'école en français et que je parle aux membres de ma famille en français. »

Elle raconte avoir fait face à l’insécurité linguistique pour la première fois lors de ses premiers voyages dans d'autres provinces, où elle a été accusée d'être anglophone et de ne pas avoir un « vrai » dialecte français. Il y a eu de nombreuses situations où on lui a répondu en anglais alors qu’elle s’adressait en français. « Ces réponses assez globales à l'égard de mon parler m'ont inculqué l'idée que je devais faire des efforts dans tous les cas où je parlais mon français aux autres », révèle Mélissa.

Ça a continué lors de ses études postsecondaires à l’Université de Moncton où elle s’est trouvé un emploi au café du campus. « J'ai été initié à de nombreux dialectes, mais lorsque j'utilisais le mien, j'ai été confronté à la confusion et aux questions, dit-elle. J'avais l'impression que le mien était le seul français qui n'était pas compris par la masse, alors j'ai fait de mon mieux pour m'acclimater et cacher les parties de mon accent qui semblaient déconcerter les gens. Je me suis efforcé de me faire comprendre pour qu'on ne m'interroge pas sur mon authenticité et mes origines, des choses précieuses à mon identité. »

Je lui ai demandé de s’imaginer une réalité sans insécurité linguistique et de me la décrire. « Dans un autre monde, les langues françaises seraient célébrées pour leur caractère unique et si des malentendus survenaient, une approche plus respectueuse pour trouver un terrain d'entente serait idéale, répond Mélissa. Quelqu'un m'a dit récemment qu'une conversation devait faire l'objet d'un effort égal de la part des deux participants. Cela m'a fait réfléchir pendant longtemps, car j'ai souvent l'impression de faire tout mon possible pour être compris lorsque je parle français, sans que cet effort soit réciproque. »

Pour cette artiste acadienne, l’écriture en français est un exutoire pour célébrer sa langue. Son art lui permet de valoriser son accent, ses mots « slang » et ses expressions « chunous ». « Je pense que d'autres artistes qui représentent leur culture permettent au reste d'entre nous de devenir des pionniers de la représentation, affirme-t-elle.

Elle est d’avis qu'il est important de parler de la sécurité linguistique pour faire place à la fierté et la représentation. « Quand je vois un artiste acadien parler notre français sans hésitation sur scène ou quand un poète acadien publie un texte avec des expressions que j'ai utilisées toute ma vie, je commence à voir un monde où je n'ai pas à travailler si fort pour être entendu tel que je suis », exprime Mélissa.

C’est à travers cette représentation qu’elle se sent vue, comprise et appréciée pour elle. D’où l’importance de la visibilité pour construire une identité positive, mais aussi pour sensibiliser à la diversité linguistique et à la pluralité des accents.

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  • Date de création 6 décembre, 2022
  • Dernière mise à jour 6 décembre, 2022
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