À la rencontre de sans-abri dans l’Est ontarien

L’itinérance a changé de visage dans l’Est ontarien dans la dernière année. Elle est devenue visible. Le Droit est allé à la rencontre de quelques-unes de ces personnes qui passent leur premier hiver à l’extérieur à Hawkesbury.

_______________________

Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Au-delà du couch surfing, qui caractérise l’itinérance depuis de nombreuses années dans la région, des personnes sans logement vivent de plus en plus dans la rue, comme on l’observe à Gatineau et à Ottawa.

Un poste a donc été créé au sein des Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR) pour leur fournir un soutien, directement sur le terrain.

La coordonnatrice de la stabilité du logement, Nadia Séguin, travaille depuis avril dernier afin de venir en aide aux personnes sans logement dans la région.

Elle collabore avec de nombreux services et organismes de la région comme l’Hôpital général de Hawkesbury, la Police provinciale de l’Ontario, la Maison Interlude, la Banque alimentaire de Hawkesbury et autres organisations.

Quelques fois par semaine, elle se promène en voiture, surtout à Hawkesbury, pour prendre le pouls des personnes sans logement.

On en compte 56 dans tout l’Est ontarien et la moitié se trouve à Hawkesbury.

Elle est toujours accompagnée d’un expert en santé, comme un ambulancier, un thérapeute ou autre.

Cette fois-ci, ce sera le journaliste.

Le soleil reflète sa splendeur sur la neige en ce jeudi de début d’année. À -5°C, l’hiver est bel et bien en place, après une fin décembre douce et verte.

Nous partons à la rencontre d’une dame qui vit en dessous du viaduc de la route 17. Accrochée sur une poutre supportant le passage, elle y dort avec son sac de couchage et y est bien installée. Notre guide lui apporte une carte-cadeau d’une épicerie locale. Elle ne semble pas intéressée par la halte-chaleur. Elle préfère dormir dehors, dans ses affaires. On n’ira pas plus loin toutefois, la dame n’a pas envie de discuter avec un journaliste.

Les cartes-cadeaux offertes par Mme Séguin proviennent de la générosité de la communauté qui finance leur achat, se réjouit-elle. Bien au courant de la situation de l’itinérance dans leur coin, plusieurs personnes ont organisé diverses activités durant les Fêtes : campagnes de financement, repas communautaires et dons de vêtements, pour ne nommer que ceux-là.

À cet effet, la collaboration entre la communauté et les organismes facilite grandement sa tâche, exprime la coordonnatrice. Dès que quelqu’un connaît une personne sans logement, on l’avertit et elle peut la rencontrer pour l’aider. Autrement, elle n’intercepte personne dans la rue qu’elle ne connaît pas.

Nous partons à la rencontre de Christine, qui passe son premier hiver sans logis.

«Je voulais me faire couper les lobes d’oreilles, c’est dans les premières parties qui gèlent», dit-elle.

«Laisse faire ça, on va te donner une plus grande tuque», la rassure Nadia.

On la trouve dans le stationnement près du centre commercial, son panier d’épicerie, ou plutôt ses effets personnels, à la main. On y trouve bien sûr une couverture, et un fond de spaghetti. 

Dans ses poches, elle détient sept dollars. C’est ce qu’il lui reste après que la banque ait fermé son compte.

Dès qu’elle aperçoit le visage familier de Mme Séguin, elle ne cesse de lui demander si elle a pu lui trouver un logement. La coordinatrice appelle donc à la résidence Cameron, à Hawkesbury.

Pendant ce temps, on tente de mieux connaître Christine. Il est difficile de saisir ses propos, elle qui divague d’une anecdote à l’autre.

La résidence Cameron affiche complet. La Villa Baylon, une résidence à Saint-Pascal-Baylon, située à 50 kilomètres de Hawkesbury, serait une autre option.

«Est-ce que je pourrais travailler à l’école?», demande Christine.

«Pour ça, il faut s’adresser au Centre de services à l’emploi», répond Nadia Séguin.

La dame passe quasiment des journées entières à la Bibliothèque publique de Hawkesbury. Est-ce que cette ville lui manquerait en déménageant dans un village éloigné? lui demande-t-on.

«Je vais m’ennuyer, mais j’en ai plein mon casque, soutient-elle entre deux bouffées de cigarette. Je suis barrée du Burger King, du McDonald’s et du PFK. Alors qu’est-ce qu’il me reste? La banque, Postes Canada et la bibliothèque. Ça fait de trop longues journées à la bibliothèque et je veux m’éloigner de ça.»

En attendant, elle dort à la halte-chaleur, située dans l’ancienne école Saint-Jean-Bosco.

«Ce n’est pas pire, mais 22h, c’est trop tard.»

La halte-chaleur accueille gratuitement les sans-abri de 22h à 6h. Elle est utilisée régulièrement depuis ses débuts, surtout lors des nuits froides, confirme Services aux victimes Prescott-Russell, responsables du projet pilote.

Dans la rue, elle n’a pas vraiment d’amis.

«Tu es la seule qui me suit, dit-elle en direction de Nadia; à part les deux autres bums! Je veux une place à mon nom, où je pourrai prendre soin de moi.»

Mme Séguin lui donne une carte-cadeau de 50$ du Tigre Géant, et on repart.

Itinérance rurale

Cette dernière connaît quasiment toutes les personnes itinérantes par leur nom.

Elle peut donc leur venir en aide personnellement, chose qui est plus rare en ville. Cependant, durant la journée, aucun endroit public n’est dédié à leur accueil. Ce qui la préoccupe en cette saison hivernale.

«Dans les gros centres d’achat en ville, les gens s’y rendent pour se réchauffer, mais ici, ils sont petits donc on leur demande de partir», remarque-t-elle.

Il n’y a également aucun endroit qui offre des repas en tout temps.

Le Centre Chrétien Viens et Vois sert le dîner du vendredi et le restaurant Miss Hawkesbury collecte des dons des clients pour pouvoir servir des repas gratuits aux gens dans le besoin.

Isolement et solitude

L’isolement et la solitude sont également une préoccupation pour la coordonnatrice de la stabilité du logement.

«Il y a plus de solitude en campagne, note-t-elle. L’été, il y a une population itinérante de Hawkesbury qui se rassemble à la place des pionniers pour jaser, mais l’hiver, tout le monde est à l’intérieur, donc ils sont isolés.»

D’autre part, la plupart résistent à quitter leur patelin pour se rendre à Ottawa ou à Montréal, où il y a plus de services.

«Les gens veulent rester dans leur région parce qu’ils connaissent du monde, même s’ils ne leur parlent pas. Ils veulent rester dans leur communauté.»

On se rend justement à la Place des pionniers, rue Main, pour peut-être y trouver Sébastien, autre itinérant que Mme Séguin croise régulièrement.

Aucune trace.

Il ne se trouve pas en dessous du pont Long Sault non plus, où certains s’installent de temps en temps.

En retournant dans le stationnement du centre commercial, on tombe sur Claude, recouvert de nombreuses couches de vêtements de la tête aux pieds, ne laissant apparaître que ses yeux perçants. Il est dans la rue depuis que l’un de ses trois frères l’a expulsé de sa maison.

«Des fois, j’ai une place pour dormir, ça dépend du monde qui m’endure, marmonne-t-il à travers son cache-cou. C’est bien rare que j’aille chez mon frère. Il y a souvent de la chicane avec un de mes frères. J’ai câlissé mon camp de là. Quand mon frère me met dehors, je m’en vais.»

Comment envisage-t-il l’hiver?

«Je vais faire des marches, je vais à la bibliothèque pour utiliser l’Internet, comme ci comme ça. Je ne hais pas l’hiver, mais j’aime mieux l’été, il fait plus chaud. Je me sens un peu seul. Je vis ça un peu dur. Petit peu, par petit peu.»

Depuis que nous avons rencontré Claude, il a réussi à obtenir une place dans un logement subventionné. L’homme de 56 ans ne connaît que Sébastien et Christine comme personne itinérante en ville.

Plus de logements sociaux

En plus d’un plus grand nombre de logements subventionnés, Nadia Séguin souhaite l’instauration d’un hébergement temporaire et de transition.

«Il faudrait un logement de transition entre la rue et un appartement, soulève-t-elle. Dans la rue, les gens ne vivent pas en communauté et n’ont pas de règlement. Dans une résidence, on les aide un peu, mais il n’y a pas d’intervenant qui les aide à prendre soin d’eux, à vivre en appartement, à prendre leurs responsabilités, etc. Ils ont besoin de l’accompagnement nécessaire pour pouvoir se concentrer sur leur projet de vie et se réinsérer à leur rythme dans la société.»

À l’heure actuelle, 1056 personnes figurent sur la liste d’attente pour un logement.

Mme Séguin est du nombre d’intervenants locaux qui militent pour que les municipalités reçoivent davantage de fonds du gouvernement provincial afin de construire des logements sociaux.

La bibliothèque, un refuge spontané

Après deux heures à se promener en ville, il est venu le temps de dire au revoir à Nadia.

Arrivé dans le stationnement de la bibliothèque, un homme déambule avec un panier d’épicerie contenant ses effets personnels, en se parlant seul.

Il s’agit bel et bien de Sébastien.

Rien ne semble le rabaisser en ce premier hiver sans logement pour lui.

«C’est assez frette ici! Mais tout est beau, ma santé mentale va bien. Je ne me sens pas seul.»

Après l’avoir informé de la halte-chaleur, il compte s’y rendre.

En entrant à la bibliothèque, on croise Christine et Claude, assis devant l’ordinateur. En 20 ans de carrière ici, la directrice générale de la bibliothèque de Hawkesbury, Nathalie Saint-Jacques, a quasiment toujours vu des personnes itinérantes à la bibliothèque. Elle croise Christine, Claude et Sébastien quotidiennement, même en été.

«Pourvu qu’ils ne dorment pas ici, je n’ai aucun problème, soutient-elle. Ils peuvent lire, faire un casse-tête ou utiliser les ordinateurs. Quand quelqu’un s’étend sur le pouf, je l’avertis et c’est tout. Je n’ai pas de problème avec eux. Ils sont fins.»

Hausse d’achalandage à la banque alimentaire

À la Banque alimentaire de Hawkesbury, la pauvreté et l’itinérance se font sentir de plus belle dans la dernière année. On y croise des personnes de tous les âges et de tous les milieux, comme des mères monoparentales, des familles immigrantes, et des gens du troisième âge.

«Avant, on ne voyait pas d’aînés, ils étaient gênés, rapporte la présidente de la banque alimentaire, Jeanne Charlebois. Maintenant, ils nous disent qu’ils n’arrivent plus à payer leurs comptes.»

La fréquentation de la banque a augmenté de 45% depuis 2022. Heureusement, la communauté est présente pour pallier la demande.

«On ne manque de rien!» rassure Mme Charlebois.

Justement, lors du passage du Droit, les pompiers se sont pointés pour donner un chèque de 1500$, argent récolté lors du défilé du père Noël et dans les restaurants locaux.

Pendant les Fêtes, la banque alimentaire a offert 495 paniers d’une valeur de 55 000$ afin de nourrir 1092 personnes. En 2022, il s’agissait plutôt de 410 paniers (37 000$).

En tant que maire de la Ville de Hawkesbury et conseiller des finances à la banque alimentaire, Robert Lefebvre côtoie la situation de la pauvreté de près. De sa perspective, son rôle de maire ne lui donne cependant pas un grand pouvoir pour changer le cours des choses.

«On espérait que le gouvernement fasse quelque chose pour l’itinérance, poursuit M. Lefebvre. Les députés disent que la construction de logements abordables n’est pas assez rentable pour les promoteurs immobiliers, donc ils n’en construisent pas. À la municipalité, on n’a pas de terrain à donner non plus, on a juste des parcs comme terrains libres.»

Heureusement que Joanne Gratton, ou «Mme Positive» comme on la surnomme est là pour raviver ses troupes à la banque alimentaire. Elle ne cesse de louanger les bénévoles «exceptionnels».

Pour elle, même les grands dossiers qui nécessitent une contribution des gouvernements ont espoir d’être réglés un jour.

Pendant ce temps, Christine, Claude, Sébastien et d’autres se démènent pour passer à travers l’hiver.

-30-

Photos

«Claude a un grand coeur», dit la coordonnatrice de la stabilité du logement de Prescott-Russell, Nadia Séguin. (Charles Fontaine/Le Droit)

Le viaduc de la route 17 près de la route 34 abrite des personnes sans-abris depuis quelques années. (Charles Fontaine/Le Droit)

Nadia Séguin tente de trouver une place dans une résidence pour Christine. Elle a peu espoir pour un logement social. (Charles Fontaine/Le Droit)

Christine passe son premier hiver sans logement à Hawkesbury. (Charles Fontaine/Le Droit)

Nadia Séguin est la première coordonatrice de la stabilité du logement au CUPR, poste qu'elle occupe depuis avril 2023. (Charles Fontaine/Le Droit)

Nathalie Saint-Jacques, directrice générale de la bibliothèque de Hawkesbury, côtoie des personnes sans-abri depuis de nombreuses années à la bibliothèque. (Charles Fontaine/Le Droit)

Le maire de Hawkesbury, Robert Lefebvre, Joanne Gratton et Jeanne Charlebois dirigent la Banque alimentaire de Hawkesbury. (Charles Fontaine/Le Droit)

La Banque alimentaire de Hawkesbury ne pourrait vivre sans ses bénévoles, répètent les dirigeants de l'organisme. (Charles Fontaine/Le Droit)

  • Nombre de fichiers 9
  • Date de création 24 janvier, 2024
  • Dernière mise à jour 24 janvier, 2024
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article